Chris McKay, U.S.A, 2023, 93 min
Certainement l’un des monstres les plus populaires, tous médias confondus, Dracula est un être fantastique, et maléfique, dont il ne reste plus grand-chose à raconter. C’est pourquoi, sans doute, dans cette énième adaptation des écrits de Bram Stoker, il a été décidé de ne plus trop s’attarder sur le comte aux grandes dents, de quitter les Carpates, et de cibler le récit sur la crise existentielle du laquais Renfield, à La Nouvelle-Orléans, en 2023.
« Dracula, il faut qu’on parle… »
Cette nouvelle orientation permet au long métrage de raconter une histoire originale dans un univers essoré jusqu’à la corde, avec son personnage principal dont les représentations se comptent par centaines. Cette tournure singulière va même bien plus loin, puisque le scénario, plus malin que son pitch de départ, reflète des problématiques fortes inhérentes à notre temps. Cela promet des quiproquos amusants, sur un sujet qui s’y prête pourtant peu, dans la mesure où « Renfield » évoque principalement les méfaits et les dangers d’une relation toxique.
Que ce soit un rapport professionnel ou personnel, le film décortique plutôt finement à quel point l’emprise d’un être se voulant supérieur peut détruire peu à peu la vie d’une personne fragile en position de faiblesse. Par l’entremise des liens qui unissent Dracula et Renfield, l’histoire contée en toile de fond prend la forme d’un drame particulièrement fort, surtout en cette période où les langues se délient. Cela permet aux victimes d’avoir de moins en moins à craindre lorsqu’elles osent parler. Sur ce point, « Renfield » nous invite à mieux percevoir les évolutions de notre époque, et ça fait du bien de voir que les mentalités évoluent.
Cependant, le tour de force du film de Chris McKay ne se trouve pas tout à fait dans cette orientation. C’est la tournure formelle du métrage qui intrigue, puisque pour aborder ce thème complexe, et peu évident, le mélodrame est laissé de côté. Le film emprunte ainsi les sentiers sinueux de l’Horreur, de la comédie, et de la gaudriole gore à tous les étages. Finalement, y a-t-il mieux qu’un spectacle fun et décomplexé pour parler de thématiques douloureuses ?
Du beau monde derrière et devant la caméra
Après le pas top « Lego Batman » et le très mauvais « Tomorrow War » (et pas juste parce qu’il y a Chris Pratt dedans), Chris McKay retrouve ici la verve absurdement irrévérencieuse de « Robot Chicken » (qu’il a co-réalisé de 2007 à 2012). S’y ajoute l’expérience des scénaristes, avec en premier lieu Robert Kirkman, le créateur des comics « The Walking Dead » et « Invicible », ou encore Ryan Ridley qui a travaillé sur « Rick and Morty », « Community » ou « Invincible ». Ava Tramer complète ce trio, apportant une plume plus affinée, mais non moins pop, elle qui a œuvré sur les animés « The Duncans » et « Central Park ». Du beau monde on peut le dire, puisque cette association de talent donne un rendu final absolument jouissif.
Au niveau du casting, on trouve le toujours très bon Nicholas Hoult, qui revient après un autre film horrifique, « The Menu » sorti en 2022. Serviteur tiraillé de Dracula, il livre une performance touchante, avec ce Renfield victime de la toxicité relationnelle qu’il entretient avec son patron. Il laisse transparaître une humanité sans pareil, alors qu’il est plus ou moins réduit à l’état de monstre, et a une tendance à exploser (littéralement) toutes les personnes qui osent se mesurer à lui. Fort d’une force surhumaine, ça aide. Dans un second rôle pas dénué d’intérêt se retrouve également Awkwafina, qui est en train de se forger une petite carrière sympathique au cinéma. Policière issue de l’immigration sud-coréenne, son personnage vient une fois de plus donner quelques informations précieuses sur notre époque en pleine ébullition.
Dracolas Cage
Si « Renfield » se suffit à lui-même comme petite production horrifique remplie de bagarre, de sang et de tripes et de tripes et de sang, le film ne serait bien entendu pas ce qu’il est sans son attraction principale : NICOLAS CAGE. Tout d’abord, il est important de se souvenir que Nicolas Cage ne choisit ses rôles que par intérêt pour quelque chose dans le projet (ou pour payer ses factures). Amateur de film d’Horreur, notamment de la Hammer (il a par exemple accepté « Season of the Witch » juste parce qu’il partageait une scène avec Christopher Lee…), pouvoir interpréter Dracula était pour lui un rêve de longue date. S’il se retrouve dans ce film, dans un rôle relativement secondaire, c’est juste pour ça. Et nous pouvons remercier les dieux du Cinéma pour ça, oui, nous pouvons.
Dans le respect total de la tradition cinématographique, Nicolas Cage livre un Dracula proche de celui de Bela Lugosi. Le film s’ouvre d’ailleurs sur un pastiche de celui réalisé en 1931. Mais ce Dracula a vécu, il n’est plus le comte du XIXe siècle, mais désormais il évolue dans un monde moderne, avec tout ce qu’il ne comprend pas. Boomer ++, il arrive dans l’Amérique des années 2020 en redécouvrant un petit peu la non-vie quelque part. Mal en point, et absolument dégueulasse (merci les effets spéciaux faits main), il va réaliser malgré lui que ses méthodes de management et de relationnel ont poussé Renfield jusqu’au Burn out. Ce nouveau monde plus ouvert et tolérant lui pète à la gueule, car oui, Dracula ne semble pas près pour l’après #metoo.
Encore une fois, c’est une prestation hallucinée, complètement déjantée et over the limite, qu’offre un Nicolas Cage qui ne cesse de s’éclater. À bientôt 60 ans, cette exception pop culturelle se fait plaisir à la moindre occasion, et c’est communicatif. Quiconque reste de marbre devant ce film n’est de toute façon pas digne de l’apprécier. Pour l’anecdote, Nicolas Cage est allé jusqu’à se faire raboter les dents pour pouvoir porter le dentier de son personnage. Oui, retourne t’enterrer dans le désert avec tes béquilles Jared Leto (et laisse-nous tranquilles). À partir de là, il n’y a besoin que d’apprécier ce spectacle déviant que nous offre l’univers, et se délecter de chaque seconde de ce Dracula new age et toujours plus méchant (parce que).
Un film qu’il est bien de le voir
Alors attention, la prestation de Nicolas Cage ne fait pas tout le film (en vrai si), car avec son histoire solide et son gore de fête, « Renfield » fait un bien fou dans le cinéma horrifique actuel. Avec sa petite pointe d’originalité, qui vient rappeler que l’Horreur c’est aussi un genre qui fait dans le social. Le format horrifique permet de discuter avec les tripes de ce qui ne va pas dans notre société occidentale contemporaine, et ça, Chris McKay l’a parfaitement compris. Bien moins débile qu’elle n’y paraît, cette nouvelle adaptation de Dracula au cinéma n’est peut être pas la meilleure, mais elle est certainement l’une des plus attrayantes productions horrifico-fun de l’après-Covid. Ne pas y jeter un œil serait criminel (et pas gentil pour Nicolas).
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