Wes Craven, 1995, U.S.A, 110 min
Quand l’acteur et comique le plus populaire des États-Unis s’associe à l’un des grands noms de l’Horreur made in Hollywood pour faire un film de Vampire, il est évident qu’il ne peut en ressortir que de bonnes choses. Seulement voilà, la rencontre au sommet entre Eddie Murphy (alors au summum de sa gloire et de son arrogance) et Wes Craven (un cinéaste fascinant, mais terriblement inégal) ne s’est point déroulée comme prévu. À sa sortie, le métrage connut des aléas, d’avantage jugé sur (contre) sa toute puissante tête d’affiche.
Le choix peut sembler osé, après avoir démontré son succès dans la comédie populaire, se lancer dans un projet horrifique, avec en plus un sous texte social fort, teinté de féminisme. Grand amateur de Film d’Horreur, c’est Eddie Murphy lui-même qui est allé chercher Wes Craven, et l’a convaincu en lui récitant des répliques de « The Hills Have Eyes » (oui oui). Mais le choix du cinéaste est loin de faire appel au hasard, puisque quatre ans plus tôt, avec « The People Under the Stairs », une satire sociale anti-propriétaire, mettait en avant une famille afro-américaine victime de la gentrification. C’était là l’une des premières représentations fortes de cette communauté dans le genre de l’Horreur, alors que le cliché du « Black qui meurt en premier » s’avérait encore la norme.
Dans la cape de Blacula
Changement de paradigme donc, puisque le film devient un reflet pleinement conscient de son époque. Vingt ans après l’obtention des Droits civiques par les Afro-Américains, « Vampire in Brooklyn » témoigne de la présence de plus en plus importante de la communauté dans le média. Elle représente à l’époque 12 % de la population. C’est une véritable victoire donc, pour ces descendants d’esclaves (rappelons-le), amenés de force dans cette région. Le film s’en présente d’ailleurs comme l’écho, à travers le vampire incarné par Eddie Murphy, qui arrive d’une région d’Afrique, en bateau… Bien au-delà de la métaphore, c’est dans le message direct et frontal que donne le récit.
Le clin d’œil appuyé à la Blaxploitation, un mouvement cynique et hyper commercial des années 1970, initié par des producteurs blancs pour capitaliser sur une audience principalement noire, se présente également au cœur du film. Si la Blaxploitation apparaît douteuse au premier abord, elle a permis de faire éclore des stars et des figures iconiques, dès les seventies. Parmi ces succès ayant marqué le public se trouve Blacula, une version afro de Dracula, comme le jeu de mots subtil l’indique. Très clairement, c’est sur cette note un peu kitsch d’exploitation qu’Eddie Murphy porte ce film avec classe, et muni d’un grand respect envers la communauté qu’il représente.
Sa plus grande réussite ? Son plus grand défaut…
Voilà, « Vampire in Brooklyn » ne constitue pas une œuvre typique, elle traine dans son sillage une représentation et un message politique, et aussi le spectre d’une histoire tragique qui se transforme peu à peu en victoire. Le choix même d’utiliser Brooklyn dans le titre, et non pas New York démontre une démarche sciemment militante. En resserrant l’action géographiquement, à un quartier connu pour sa forte population afro-américaine, le métrage de Wes Craven laisse assez peu de doute sur ses intentions.
Massacrée lors de sa sortie, et même désavouée par Murphy et Craven, il a été reproché à cette production son manque de clarté quant à son genre. Il s’agit ni plus ni moins que d’une comédie horrifique, soit la meilleure idée pour traiter d’un sujet au potentiel kitsch, mais dans un contexte social fort. Il est vrai que le film semble parfois se demander s’il doit faire rire ou faire peur, et s’égare un petit peu dans une sorte de brouillard qui peut laisser tout spectateurices un peu pantois. Pourtant, c’est aussi ce qui lui procure tout son charme et façonne toute sa forme. Par le refus de trancher précisément, cela donne à l’ensemble une ambiance particulièrement déstabilisante que l’arrivé d’un vampire dans une grande ville.
Eddie Murphy livre ici à la fois son show, en interprétant différents personnages, comme il en est spécialiste, lors de séquence très drôle. Il faut absolument voir son interprétation d’une petite frappe de la mafia locale pour y croire… Il parvient pourtant à se montrer inquiétant et même terrifiant à plus d’une occasion. Wes Craven lui donne ici l’opportunité de faire briller son talent, et de rappeler à quel point cet acteur génial peut se mouvoir dans à peu près n’importe quel rôle, tout en conservant son style de jeu. Cette petite prouesse offre au film toute sa force, même si c’est exactement ce qui lui a été reproché en masse.
Comédie et Horreur ou Horreur et Comédie ?
Il est très simple de trancher sur le genre principal auquel répond « Vampire in Brooklyn ». En sa qualité de satire politique et sociétale, destiné à faire rire du pire, il utilise tous les codes du cinéma d’Horreur alors à disposition en 1995. C’est alors qu’il est important de ne pas oublier qui réside derrière la caméra, car si à l’écran Eddie Murphy brille, derrière, il y a un cinéaste qui raconte une histoire. Au film de se présenter alors comme une œuvre horrifique classique, avec son lot de commentaires social, qui près de trente ans après sa sortie, reste d’actualité.
En effet, Eddie Murphy s’avère omniprésent, mais il serait dommage d’oublier la prestation de la toujours parfaite Angela Bassett. Son personnage, une flic torturée, traumatisée par la folie de sa mère, et craignant elle aussi de subir le même mal, évolue dans un autre film. Entre la comédie romantique et le mélodrame, elle tient le haut de l’affiche avec une précision telle, qu’elle renvoie parfois Eddie Murphy dans les cordes. De plus, son personnage évolue amplement tout au long du récit, pour en devenir l’héroïne, dans la grande tradition du septième art.
Dans les différentes critiques envers le film, il est rarement fait mention d’Angela Bassett, comme si toute l’entreprise ne se résumait qu’au spectacle d’Eddie Murphy. Alors oui, il est l’acteur principal, le producteur à l’origine de l’histoire et se retrouve en grand sur l’affiche, il envoute l’écran… Mais le cinéma c’est aussi un art collectif, et il est facile de s’arrêter à la star qui porte l’ensemble, et dire « C’est de la merde ». En revanche, gratter un petit peu la belle vitrine permet d’aller chercher ce que le film nous raconte vraiment. Pour d’autoproclamés « critique », cette démarche de travail semble pourtant s’avérer bien plus compliqué qu’un simple Murphy bashing, de bon aloi en 1995.
Faut arrêter de tout politiser !
« Vampire in Brooklyn » demeure un Film d’Horreur drôle, mais terrifiant, non pas par ses tropes issus de l’héritage du « Dracula » de 1931, mais par son message éminemment politique. Derrière sa présentation de flick horrifique, c’est une dure réalité sociale qui s’y reflète, un petit aperçu de la vie quotidienne à Brooklyn dans les années 1990. Finalement, cela permet de se poser la question, est-ce qu’un Eddie Murphy vampire, tout en dentier et en perruque est-il plus horrifique que le triste constat de la réalité vrai ? Faites votre choix.
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