John Carpenter, U.S.A, 1998, 118 min
Aussi étonnant que cela puisse paraître, au cours de sa longue filmographie (19 films tout de même), John Carpenter n’a abordé qu’une seule fois la thématique du vampire. Avec son style légendaire, c’est bien loin des standards du « Dracula » de Tod Browning (1931) qu’en 1998 il débarquait avec un néo-western contemporain, perdu dans le désert étatsunien. Fort de son ambiance crépusculaire, d’un gore qui tâche, de l’action bad ass et une romance tragique, « Vampires » se révèle une lettre d’amour au Genre, avec un grand G.
Le postulat s’avère des plus simples, des chasseurs de vampires sont employés par le Vatican pour trouver et déloger des nids de noctambules. Sans lésiner sur les effets gores, John Carpenter livre une œuvre jouissive, fun et débridée bien comme il faut. Un véritable roller coaster de divertissement, qui en met plein la gueule, se prend pas la tête avec de la fioriture ici ou là, non. « Vampires » c’est un pack d’action qui va à fond, sur près de 1 h 50, et qui ne porte aucune autre prétention que le confort de la recherche pulp des aficionados du genre horrifique.
Vaya con Dios, Slayer
Malgré ses airs de séries B écervelées, il est important de se souvenir que c’est un film de John Carpenter. En effet, comme toujours, la forme se substitue au fond, et il est possible de profiter du métrage sans se poser trop de questions. Cependant, dès que l’on prête attention à l’histoire et à la mythologie formelle qui façonne le récit, alors « Vampires » prend tout son sens primaire, et se révèle bien plus qu’un simple film d’action gore. Respectueux au millimètre de la mythologie vampirique, il l’étoffe même de quelques nouveaux lores originaux des plus bienvenues. Comme par exemple, attention petit spoil, le fait que les vampires sont des créatures crée par le… catholicisme !
Sans aucune pincette, et avec panache, il faut le dire, John Carpenter s’amuse ainsi à dézinguer allégrement l’institution chrétienne et son dogme mortifère. Cela fait écho directement au passé génocidaire de l’Église romane, dont la volonté d’éradiquer tout ce qui n’était pas suffisent chrétien n’est plus à démontrer. L’Histoire est remplie de faits mettant en lumière les dérives sectaires à grande échelle de ce dogme. Pour se faire, Carpenter ne tergiverse pas pendant 2 h, ni ne sert de monologue moralisateur, comme un Voltaire du Bis, non, il passe par la magie du cinéma, il le montre.
L’un des personnages principaux, le Frère Adam Guiteau, est envoyé par le Vatican pour surveiller un peu l’émergence d’un maître vampire légèrement bourrin, et bientôt capable de marcher en plein soleil. Au départ, le Frère Guiteau correspond à tout ce qu’il y a de plus… Chrétien. Puis face aux horreurs dont il est témoin, puis les révélations de l’hypocrisie de son supérieur, comme de toute l’institution, il commence à prendre conscience de la vacuité de sa position. Par la désillusion de ce personnage, c’est la bêtise de croire aveuglément en un dogme qui est mise en avant. Attention, ce n’est pas un jugement de la croyance, cela est libre à chacune et chacun, le message ne se trouve pas du tout là, et il ne faut pas s’y méprendre. La critique cible la forme de commercialisation de la croyance, pour en constituer un dogme et ainsi contrôler les masses.
Un vampire capable de marcher en plein soleil serait inarrêtable… À moins qu’on ne l’arrête !
La performance de James Wood dans ce film, interprète de Jack Crow, le leader des chasseurs, est absolument géniale. Santiag, jean tight, veste et gants en cuir, lunettes de soleil, soit un archétype rock n’ roll d’un Van Helsing prolo. Roi du dézingage de noctambule, il fait son taf, y prend du plaisir et profite des petits bonheurs de la vie. Si James Wood est un gros con de Républicain, il ne faut pas oublier le positionnement politique de John Carpenter, qui se reflète dans toutes ses productions. Ainsi, « Vampires » n’échappe pas à la fine analyse de son temps.
En 1998, le héros américain est un peu tombé en désuétude, les Musculators de l’ère Reagan sont vieux et ne font plus d’entrées. Le pays a perdu son ennemi structurel depuis la chute du mur de l’Union soviétique. Les États-Unis se retrouvent seuls maîtres à bord (en apparence), et jouent aux gendarmes du monde sans grande conviction. Dans le cinéma américain, cela se perçoit avec une tournure plus fantastique des blockbusters, ou bien des histoires mettant l’action en avant dans une Amérique en quête de frisson.
« Vampires » répond à cet état d’esprit, par son personnage principal, un vieux has been qui se croit cool, un vrai beauf mis en scène magnifiquement par John Carpenter. Choisir James Wood, beauf de condition naturelle, consiste ainsi en la meilleure idée du film, du moins au niveau de son casting. Le choix la plus brillante réside avant tout dans la démarche de déguiser un Western en film de vampire. C’est en effet là tout le concept, utiliser la nature crépusculaire du genre horrifique, pour la coupler avec une nature non moins crépusculaire du Western. Ce genre né quasiment avec le Cinéma hollywoodien sert sans cesse à prendre un peu le pouls de la nation.
Western, vous avez-dit Western ?
Ne nous méprenons pas, « Vampires » comme son titre l’indique, est bien un film de vampires. Il n’y a aucune tromperie sur la marchandise. C’est simplement qu’en y convoquant les codifications du Western, c’est une œuvre sur l’Amérique de la fin du millénaire que délivre John Carpenter. L’invitation de vampire dans cette histoire confirme que ce n’était pas la grosse patate chez l’Oncle Sam. Comme le démontreront d’ailleurs les élections catastrophiques de 2000, avant le traumatisme du 11 septembre 2001. Mais avant cela, le pays ne va déjà pas très bien.
À 50 ans, John Carpenter possède ainsi toujours une vision affinée et acide envers sa nation natale, et même de la civilisation occidentale, si l’on prend en compte le petit taquet à l’Église chrétienne. Après 25 ans, le film reste d’une actualité confondante, peut-être grâce à l’utilisation d’un mythe intemporel, et vient nous parler des gros soucis conjoncturels liés à notre quotidien d’Occidental par défaut. Fort d’une grande pertinence, il n’oublie cependant jamais de nous divertir avec une bonne dose de gore, d’action et de punchline bas du front.
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