Éric Valette, France, 2002, 86 min
Toute petite production francophone du début des années 2000, « Maléfique » donna pourtant en son temps le ton d’une nouvelle vague de l’Horreur hexagonale au cinéma. Élaboré par d’anciens auteurs des « Guignols de l’Info », le film se présente comme un huis clos, perdu quelque part dans l’univers de HP Lovecraft. En effet, certaines divinités du bestiaire de Chtulu sont directement citées, et confirment que toute l’ambiance mise en place de manière explicite ne fait que sous-entendre.
Le récit se déroule dans une cellule de prison, où quatre co-détenus que tout oppose (et que rien ne rassemblera) tombent sur un cahier contenant les mémoires d’un ancien prisonnier. Ce dernier, ayant disparu mystérieusement quelques décennies plus tôt, accompagne son texte d’incantation, elles aussi particulièrement mystérieuses. C’est ainsi, sur un postulat très simple, épuré de toute fioriture et de maniérisme inutile, qu’Éric Valette mène son récit sur 1 h 20, maniant parfaitement le suspens, l’angoisse, la peur et enfin l’horreur. Il invite son audience à une plongée lente et détaillée dans les entrailles de la folie humaine.
L’Horreur cosmique n’a pas de frontières
Sans jouer avec les codes, qu’il respect parfaitement, « Maléfique » se positionne dans la lignée de ce qu’à pu élaboré Lovecraft en son temps, puis August Derleth. Il n’y a pas ici de volonté de se montrer plus malin que les auteurs cités, au contraire. C’est dans une démarche d’hommage et de respect de la mythologie que l’histoire prend racine pour mieux évoluer. Cela peut être vu comme un point faible, d’un point de vue cinématographique, puisque tout est plus ou moins convenu et laisse assez peu de surprise. Même si heureusement le métrage réserve quelques moments chocs, et pas des moindres.
Il est également important de prendre en compte les ambitions du film, car c’est un huis clos au budget minimal. Accepter ce point, c’est entrer dans une histoire qui pose délicatement son ambiance, développe ses personnages et construit patiemment la structure du récit. Tout cela sert ensuite de levier pour faire monter le malaise petit à petit. C’est en cela que le film vieillit particulièrement bien et fonctionne toujours aujourd’hui, puisque du fait de son économie de moyen, l’action pourrait se passer en 1920 ou en 2030, ça n’a pas d’impact. L’important ici, c’est le sort des quatre détenus.
L’homme, un type fascinant… Ou pas !
« Maléfique » utilise également parfaitement le biais de l’Horreur pour aborder des sujets de sociétés. C’est le cas pour le personnage principal, un riche bourgeois tombé pour fraude fiscale, qui clame s’être fait « avoir » par sa femme, quand elle s’est simplement montrée bien plus maline que lui ne la considère. Dans un film avec un seul rôle féminin, assez furtif, ce dernier s’avère des plus intéressant. Il en va de même pour le personnage du libraire, un homme froid et calculateur, qui se sent clairement supérieur à tous par son savoir. Il est là pour avoir étranglé sa femme lors d’une crise de démence. À voir ça avec le prisme des années 2020, c’est prendre conscience que les mœurs ont peu changé. Quoi que, le réaliser est peut être que finalement les mœurs ont évolué, et ce qui était furtif dans un film de 2002, fait aujourd’hui la Une des journaux.
Pour les deux autres détenus, c’est encore plus parlant, avec l’un qui souffre d’une maladie psychologique. Il est à noter que sa place, même en 2002, n’est pas du tout dans une prison, mais dans une structure spécialisée. Ce personnage est ainsi présent pour mettre en lumière une réalité de l’époque, où le facteur psychologique de certains criminels n’était pas encore pris en compte. Et enfin, le quatrième est un culturiste qui a débuté une transition. Cet élément à une place dans le récit, et n’est pas là par hasard, certes, mais mettre en scène un personnage transgenre, en 2002, dans une production française, ça en dit long sur les ambitions du film.
Un millésime bien trop sous-coté
C’est alors qu’il est important de prendre en compte le fait que le réalisateur et ses deux scénaristes sont des anciens des « Guignols de l’Info ». Si « Maléfique » reste un film d’Horreur qui fonctionne parfaitement bien, il possède un sou texte politique particulièrement acide, et donne un petit aperçu vitriolé de la nature humaine, principalement masculine, à l’orée du XXIe siècle. Il est amusant de redécouvrir ça avec le recul, car c’est bien plus frappant qu’à l’époque, où ce qui ne semblait qu’un détail anodin, ou des gimmicks inhérents au genre révèlent aujourd’hui une dimension pamphlétaire et avant-gardiste. Il en va donc de l’interprétation de chacun, mais dans tous les cas, le film d’Éric Valette mérite sa place dans le panthéon de l’Horreur à la Française, et en bonne position.
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