Alien³

David Fincher, U.S.A, 1992, 114 min

Partons d’un principe simple et clair : Alien est une trilogie. Point. « Resurrection », sorti en 1997 n’a absolument aucune connexion avec l’arc narratif créé entre le « Alien » de 1979 et le « Alien³ » de 1992. Prix comme tel, ce troisième film revêt dès lors tout son sens, avec son ultime séquence qui va dans ce sens et vient appuyer la cohérence d’un tout. Volet le plus sombre de la trilogie, c’est aussi celui qui a le plus souffert, tant sa production fut un véritable enfer (voir le making of pour réaliser l’ampleur du cauchemar). Les producteurs n’étaient pas tellement jouasses à l’idée de livrer un film mystique, glauque et pessimiste, véhiculant une réflexion quasi métaphysique sur sa nature de troisième opus, où Ripley devient l’incarnation même de la saga.

Sigourney Weaver dans Alien³
L’existence n’a pas été tendre avec Ellen Ripley depuis le Nostromo…

Très différent des deux premiers opus, comme « Aliens », il prend lui aussi à contre-pied son prédécesseur. Proposant un spectacle nouveau et original, sans recopier ce qui a déjà été accompli dans cet univers, tout en y développant et étoffant sa propre personnalité. Véritable antithèse du « Aliens » de James Cameron, le récit d’« Alien³ » renoue davantage avec l’opus de Ridley Scott. La différence est que l’action se déroule sur une planète lointaine, peuplée de meurtriers et de violeurs condamnés à vivre loin de tout, où ne se trouvent ni armes ni technologie avancée.

Une œuvre visuellement forte ou la forme se soustrait au fond

Ce premier film de David Fincher (qui en a renié la paternité assez rapidement) correspond à l’acte de naissance manqué d’un cinéaste qui deviendra l’un des metteurs en scène les plus fascinants de la fin des années 1990. Fort d’une identité visuelle unique et d’un jusqu’au-boutisme venant bousculer les studios dans leurs pantoufles, il se paye même le luxe de livrer l’un des plans les plus iconiques de la saga. Six ans seulement après l’échec critique, public et commercial du film, il ne faut pas oublier que c’est le même David Fincher qui allait marquer toute une génération avec « Fight Club ». Pourtant, déjà en 1992 les bases de son cinéma à venir étaient présentes et formaient même le cœur du récit d’« Alien³ ».

Un rassemblement des moines prisonniers dans Alien³
Des décors minimalistes, mais d’une grande puissance évocatrice

S’y retrouvent ainsi plusieurs thématiques, telles que l’agonie d’un monde industriel en déclin, le besoin de croire en n’importe quoi, pour donner un sens à une existence sans but réel. Et bien entendu, la prédominance du paraître comme définition de soi, par des êtres aux épaules pliées sous le poids d’un leadership non désiré. Le tout se traduit par un mysticisme rédempteur, et une violence visuelle graphique, venant rappeler les bases pourries de notre société occidentale. Cette dernière, rongée par l’avarice et l’orgueil de quelques magnats à l’ubris démesuré, passe son temps à mettre sur le carreau les plus faibles et les moins armés.

Métaphore peu reluisante d’un pays en roue libre

Avec ses prisonniers aux gueules cassées, une Ripley impuissante face à son destin (là où en 1986 elle le portait à bout de bras, en 1992 elle le subit) et l’omniprésence de la corporation Weyland-Yutani (qui s’intéresse soudain à une planète qui n’a aucun intérêt pour elle, démontrant l’opportunisme et la soif de pouvoir des multinationales), « Alien³ » compose plus qu’une métaphore grossière de l’Amérique post-Reagan. Trente ans après sa sortie, il suffit de juxtaposer n’importe quel nom de GAFAM et de ses leaders, et ça marche toujours aussi bien.

Le xénomorphe vache de Alien³
Alien³ renoue avec le xénomorphe unique et une terreur plus viscérale

En 1992, les U.S.A se trouvent au bord de l’explosion, la pauvreté galopante, le déclin industriel, le retour des émeutes raciales, et la remise en question du pouvoir WASP fragilise le pays. Attention, il ne faut pas confondre avec l’Amérique sous Trump, ça n’a rien à voir. Il se cache ainsi en sous-texte un véritable pamphlet aux dimensions nihilistes, où l’individualisme prôné par l’American Way of Life vole en éclats. Cela se fait au travers du prisme d’une communauté de rebut immonde, composé de membres coupables du pire de ce que l’être humain est capable d’accomplir.

Ellen Ripley et les moines prisonniers dans Alien³
Désormais, Ellen Ripley fait elle aussi partie des rebus de la société…

Ce sont vers les prisonniers que David Fincher oriente l’empathie de ses spectateurices. Allant jusqu’à raser le crâne de Ripley, pour faire d’elle une de leur semblable, égarée dans une société malade, où la Weyland-Yutani met en danger une humanité sur le déclin, au nom du progrès technologique. Dans ce troisième volet, Ripley prend pleinement conscience de l’univers dans lequel elle évolue, et perd de ce fait tout espoir.

Un film aussi fascinant que le cauchemar de sa production

Alors oui « Alien³ » est raté et charcuté par un studio qui voulait un film d’action et non un conte macabre porté sur le funeste destin de notre espèce. Oui, les effets spéciaux ne sont pas au point et niquent un peu les yeux par moment. Oui, il est cutté avec le cul. Pourtant, il se dégage de cette œuvre un charme sans pareil. La version utilise pour cette chronique, est celle ressortie dans les années 2000, qui se rapproche le plus de la vision de Fincher, qui a refusé toute participation, et souhaite juste oublier cette expérience. Cette dernière reste visiblement une plaie ouverte.

La naissance du xénomorphe vache, dans Alien³
Il est possible de reprocher beaucoup de chose à Alien³, mais pas son originalité

Dans cette version, le xénomorphe ne sort pas d’un chien, mais d’une vache, ce qui explique sa drôle de façon de se mouvoir. Elle prend également le temps de développer davantage ses personnages, pour mieux cerner en toile de fond cette société de bagnards sanguinaires. Devenu les moines d’un ordre désespéré, ils ont placé leur salut et leur destin entre les mains d’un Dieu les ayant exilé au plus loin possible de toute trace d’humanité, aux confins de l’Espace.

Alien3 mon amour – Par Stork

« Alien³ » a beau être un film malade et un accident industriel, il ne s’en dégage pas moins toute l’expression des ambitions bridées de David Fincher. Dans chaque séquence, il est même possible de déceler ce qui n’apparaît plus à l’écran, et laisse libre cours à notre imaginaire de spectateurices. En plus de demeurer le plus audacieux métrage de la trilogie, c’est une proposition de cinéma sans pareil et paradoxalement inégalée. Ce spectacle cinématographique se révèle cassé, mais obsède par une beauté sombre magnifique, et tellement rare.

David Fincher sur le plateau de Alien³
David Fincher sur le tournage du pire cauchemar de sa carrière

La sympathie de l’auteur de ces lignes pour ce film étant sans borne, il manque honnêtement d’objectivité. Mais il ne peut s’empêcher à chaque vision de le réévaluer, victime de cette frustration de percevoir un chef-d’œuvre qui n’a pas eu la chance d’éclore, mais dont tous les éléments s’avèrent pourtant présents. À ses yeux, « Alien³ » constitue une pièce maîtresse de la dark sci-fi (qui si on y réfléchit est un genre assez rare), qui clôt merveilleusement une trilogie à part. Avec une ultime séquence dont le tragique n’équivaut qu’à la puissance évocatrice d’une œuvre, qui ne peut exister pour ce qu’elle représente vraiment : un chef-d’œuvre d’une obscurité insondable.

Sigourney Weaver et le xénomorphe dans Alien³
Jamais deux sans trois…

Pour en Savoir Plus

Alien³ sur IMDB

Bande Annonce

Forgé par le gore et l'horreur déviante, amateur de Slasher depuis sa plus tendre enfance, Stork est toujours là où on l'attend : devant un film, muni de sa plume et prêt à suriner le moindre métrage...

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