Frontière(s)

Xavier Gens, France, 2007, 108 min

« Frontière(s) » est un film qui suscite une certaine ambivalence. À la fois fascinant par son propos, il se montre des plus déconcertants dans son exécution. Pourtant tout commence parfaitement bien avec un patchwork d’image qui illustre les violences dans les banlieues en 2005. Le propos politique se montre incisif dès les premières minutes, et permet d’accoler naturellement une intrigue de série B (un casse qui a mal tourné). Cela permet de construire l’acheminement vers le concept principal, à savoir un survival cradingue, qui se voudrait un équivalent de « The Texas Chainsaw Massacre » de Tobe Hooper. S’il n’y parvient pas, il est toutefois difficile de lui reprocher d’essayer, tant le film se montre généreux sur de nombreux aspects.

Une voiture qui crame dans Frontière(s)
« L’exception Culturelle Française » comme on dit

Xavier Gens est une énigme. Cinéaste capable du pire et du meilleur (souvent les deux à la fois), tous ses films souffrent du même mal, et se montrent inégaux sur la durée. Ce n’est peut-être pas un compliment, mais c’est certainement dans « Frontière(s) » que cela se perçoit le moins, puisque le joyeux bordel de sa mise en scène permet d’alimenter l’ambiance qu’il souhaite développer. Incontestablement son meilleur filme à ce jour, sur sept réalisations (dont une où il y a Mr Poulpe…), ce coup d’essai se montre alors concluant. Il témoigne d’une maîtrise technique indéniable de la part de Xavier Gens, qui parvient à créer une atmosphère sombre et oppressante dès les premières minutes. Mais derrière, il faut raconter une histoire…

L’Horreur du quotidien plus terrifiante qu’une série B

Le métrage se compose de deux parties bien distinctes, avec dans un premier temps un groupe de braqueurs qui fuit les émeutes aux abords de Paris. Puis dans un second temps, la troupe se divise et se réfugie dans une auberge isolée au cœur la campagne profonde. Des échauffourées de la banlieue, et les violences policières de mise, les protagonistes se retrouvent dans le repaire d’une famille de nazis cannibales aryenne. À la sauvagerie bien réelle des forces de l’ordre, Xavier Gens oppose donc une sauvagerie fantasmée héritée de tout un pan du cinéma d’Horreur. Le propos qui se dessine compose ainsi une analogie entre les deux extrémités du métrage, et sous-entend le parti pris audacieux d’une œuvre particulièrement critique. Malheureusement, rapidement le film ne s’intéresse plus qu’a son tournant horrifique, impressionnant il est vrai, mais il perd en texture.

SAmuel Le Bihan dans Frontière(s)
Visiblement, un gros budget muscu pour Samuel Le Bihan !

Cela donne la part aux séquences de torture, qui se montrent d’une cruauté extrême. Dépeintes avec un réalisme saisissant, elles ajoutent une dimension viscérale au film, mais un peu vaines. Cette esthétique brute et sans concession peine à émouvoir du fait que les protagonistes se révèlent assez peu attachants. Si bien entendu ce qu’il se passe est horrible, l’empathie ne prend pas. Dès lors, l’intention affichée par Gens, de choquer et de déranger le public, fonctionne sur une note dissonante. Nombres de séquences, notamment celles impliquant la protagoniste, apparaissent purement gratuites, créant ainsi un malaise qui ne semble pourtant pas voulu dans ce sens.

Un film sans surprise, mais avec des ambitions

La trame principale devient confondante de familiarité, et peine à trouver de la profondeur et de la subtilité. Les rebondissements deviennent plus que prévisibles, du fait aussi de l’utilisation de personnages un peu trop stéréotypés. Le premier degré avec lequel le film s’exécute et des acteurices qui manquent cruellement de nuances empêchent « Frontière(s) » de répondre à ses ambitions et d’explorer les thématiques qu’il annonce au début. En effet, la séquence d’introduction invitait à une réelle prise de risque engagée, mais rapidement elle n’apparaît plus que comme un prétexte peu subtil pour amener les scènes d’horreur. Le résultat en devient donc superficiel, et la politique ou la xénophobie ne se résument plus qu’à une énième représentation de l’héritage du IIIe Reich au cinéma.

Jean-Pierre Joris et Estelle Lefebure dans Frontière(s)
Troisième Reich ne Meurt Jamais

Cela dit, « Frontière(s) » parvient à accrocher grâce à son rythme, qui ne laisse jamais son récit s’égarer et réussit même à créer quelques séquences de suspense plutôt efficaces. De nombreuses fulgurances tout au long du métrage démontrent bien les compétences techniques de Xavier Gens, et maintiennent l’intérêt malgré les multiples lacunes de l’ensemble. Mais pour ce qui est de développer des thématiques riches, telles que la montée des extrémismes, le fanatisme néonazi et l’eugénisme, ça ne reste qu’en substance, et ça n’invite jamais réellement à la réflexion.

Ce n’est pas top, mais c’est quand même un peu bien

« Frontière(s) » suscite donc des sentiments contradictoires, car c’est difficile de l’apprécier vraiment, et en même temps c’est loin de demeurer un mauvais film. Son esthétique et sa maîtrise technique en font une œuvre qui tient la route. La générosité de Gens, avec ses excès gores, contrebalance également le manque d’initiatives du scénario. Même si l’absence d’exploration thématique laisse un goût d’inachevé, le film demeure une expérience cinématographique marquante. Il reflète aussi toute une époque, et s’inscrit dans la lignée d’une production horrifique hexagonale qui dans les années 2000 avait de la gueule et des ambitions. C’est juste un petit peu trop court pour tenir sur la distance, mais l’effort reste à saluer.

Pour en Savoir Plus

Frontière(s) sur IMDB

Bande Annonce

Forgé par le gore et l'horreur déviante, amateur de Slasher depuis sa plus tendre enfance, Stork est toujours là où on l'attend : devant un film, muni de sa plume et prêt à suriner le moindre métrage...

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