Dr Jekyll and Mr Hyde

Rouben Mamoulian, U.S.A, 1931, 98 min

« Dr Jekyll and Mr Hyde » est le troisième film horrifique à sortir d’une major hollywoodienne en 1931. Dans la continuité de « Dracula » et de « Frankenstein » par l’Universel, la Paramount joue ainsi son va-tout à une période de grave crise économique, où seule l’industrie du cinéma tient encore debout. Adapté directement du roman éponyme de Robert Louis Stevenson publié en 1886, le film peut également être perçu comme un remake de la version de 1920, avec John Barrymore dans le rôle-titre.

Fredric March dans Dr Jekyll and Mr Hyde
« Je m’en fiche, c’est nous qu’on est les riches, qu’on fait c’qu’on veut ! Nah! »

L’œuvre de Rouben Mamoulian revient de loin, car durant de longues décennies elle était considérée comme perdue. En 1941, lorsque la Paramount proposa une version (avec Spencer Tracy), elle racheta toutes les bobines possibles pour les détruire, afin que le nouveau film entre dans la postérité. Ce marketing radical aurait pu faire complètement oublier ce film, bien supérieur au suivant.

La dualité du riche et du capitaliste

Les intentions de Mamoulian et de la Paramount demeurent très claires : faire peur. Effrayer est clairement le leitmotiv de cette entreprise, qui pour cela s’en donne les moyens. Alors tout a déjà été dit sur la portée du roman, et celle du film, avec la dualité de l’Homme, bla bla bla… Dualité qui se retrouve chez le comte Dracula et le Dr Frankenstein, et qui au XIXe siècle, et même au début du XXe, correspondait à l’évolution rapide des mœurs et les avances de la science. Mais en 1931, le sujet s’avère bien plus d’actualité, puisque le propos principal parle de La Crise.

Fredric March dans Dr Jekyll and Mr Hyde
« Et si je buvais cette potion de zbeul, que mes ressources confortables m’ont permit de concocter oklm ? »

L’opposition présente dans le récit est celle qui se dessine entre le gentleman de l’ère victorienne, synonyme de civilisation et de raffinement, et la nature dionysienne de la bête, symbole de la sauvagerie et du déclin. Dans le film de Rouben Mamoulian, le personnage principal permet de polariser toute la colère du peuple américain sur un bourgeois, qui dans une quête de perfection, au mépris de tout, devient un monstre sanguinaire. C’est ici le portrait d’un riche embrassant sans vergogne le capitalisme le plus sauvage.

Un contexte social extrêmement fort

Le comte Dracula incarnait la déréliction d’une caste en fin d’existence, subsistant en se nourrissant littéralement du sang des pauvres. Le Dr Frankenstein rappelle un pouvoir devenu fou, au point d’exploiter, même dans la mort, les plus pauvres. Le Dr Jekyll personnifie les deux en même temps, puisqu’il symbolise une pseudo-élite imbue d’elle-même. À vouloir défendre aveuglément les valeurs d’un monde dépassé, il devient lui-même le fossoyeur de son propre univers.

Fredric March en pleine transformation dans Dr Jekyll and Mr Hyde
« Ho non, tous les pauvres ils vont voir mon vrai visage… »

La Grande Dépression aux États-Unis correspond à un véritable traumatisme, et représente la continuité de la Crise de 1929. Elle résulte de l’échec d’un pouvoir conservateur et d’institutions en roue libre, qui au nom du dollar se sont mis à faire n’importe quoi, impactant directement les plus pauvres. Alors beaucoup se sont ému de ces banquiers qui se suicidaient en sautant de leurs buildings ce jeudi noir de 1929. Mais les sept années qui suivent seront bien plus meurtrières, en faisant tomber les classes moyennes dans une pauvreté totale. Là se trouve le véritable drame.

De l’Angleterre victorienne aux États-Unis de la Grande Dépression

La seule industrie à avoir tenu est le Cinéma, car à l’époque c’est un art populaire et le prix des places reste accessible. C’est un hobby qui vise surtout les classes les plus modestes, et dans une période de pauvreté extrême. Voir des films d’Horreur où les méchants résonnent avec les responsables de la crise, cela explique pourquoi la masse populaire s’y déplace, faisant de ces films de grands succès. La tombée en désuétude de ce genre dans les années 1940 montre à quel point leur retentissement s’avère conjoncturel.

Fredric March en Mr Hyde dans Dr Jekyll and Mr Hyde
Le vrai visage du capitalisme.

Ainsi, lorsque le Dr Jekyll se transforme en Mr Hyde, par le biais d’effet spécial impressionnant pour l’époque, c’est le gentil banquier qui autorise des prêts, pour devenir soudainement le méchant promoteur qui exproprie. Cette convention se retrouvera au milieu des années 1930 dans le Western, et rencontrera également un grand succès. C’est l’écho au réel qui rend « Dr Jekyll and Mr Hyde » aussi terrifiant.

La peur trouve son écho au cinéma

Visuellement, le métrage s’inspire toujours de la vague d’expressionnisme allemand des années 1920, afin de développer une vision distordue de la réalité. Tout dans le film cherche à créer le malaise, ce qui décuple totalement le propos sous-jacent. La prestation de Fredric March en Jekyll/Hyde est en ce sens raffinée, tellement il passe avec aisance du petit-bourgeois snob à la bête sauvage sans aucune conscience. Il incarne ainsi la dégradation imminente des puissants censés contenir la société dans une illusion de perfection, et en défendre des valeurs qu’ils ne respectent même pas.

Mr Hyde qui fout le bordel, chassé par la police et les bourgeois dans Dr Jekyll and Mr Hyde
Une nouvelle fois, les influences manifestes de l’expressionnisme teuton

La peur au cinéma, la terreur qui se tapit dans l’ombre, ne provient pas forcément d’un élément fantastique, qui ne sert que de prétexte. Non, la véritable épouvante se trouve dans ce qui est montré à l’écran, qui ne fait que nous rappeler les horreurs journalières. Et en 1931, le quotidien des Étatsuniens était particulièrement violent. La catharsis des films d’Horreur et leur succès public et critique sont un parfait indicateur pour mieux comprendre la société américaine de l’époque, et le rôle primordial de l’horreur dans le Cinéma.

Pour en Savoir Plus

Dr Jekyll and Mr Hyde sur IMDB

Bande Annonce

Forgé par le gore et l'horreur déviante, amateur de Slasher depuis sa plus tendre enfance, Stork est toujours là où on l'attend : devant un film, muni de sa plume et prêt à suriner le moindre métrage...

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