Tales From the Hood 2

Rusty Cundieff & Darin Scott, U.S.A, 2018, 110 min

Avant de commencer à parler de « Tales From the Hood 2 », voici une petite oraison en guise d’introduction :

Le 28 août 1955, Emmett Till, un jeune afro-américain de quatorze ans est brutalement assassiné dans le Mississippi, pour avoir adressé la parole à une jeune fille blanche de vingt-et-un ans. Le mari de cette dernière, avec son beau-frère torturèrent et mutilèrent le jeune homme avant de lui tirer dans la tête et le jeter dans une rivière. Emmett Till ne sera retrouvé que trois jours plus tard et deviendra l’un des symboles de la lutte pour les droits civiques. Ses assassins ne seront pas inculpés pour le meurtre.

Le 15 septembre 1963, quatre membres du Ku Klux Klan, à Birmingham en Alabama, posent dix-neuf bâtons de dynamite sous les marches de l’église baptiste de la 16e rue. L’explosion tue quatre jeunes filles, Addie Mae Collins (14 ans),  Cynthia Wesley (14 ans), Carole Robertson 14 ans) et Carol Denise McNair (11 ans). Un seul homme sera emprisonné directement pour le meurtre de Carol Danise McNair en 1977, quatorze ans après les faits. D’autres suspects seront poursuivis dans les années 2000, et certains seront condamnés, près de quarante ans après l’attentat. 

Le 21 juin 1964, trois militantes des droits civiques sont brutalement assassinées par balle, dans le Mississippi. Les corps d’Andrew Goodman, James Earl Chaney et Michael Henry Schwerner, seront retrouvés trois mois plus tard. Sept membres du Ku Klux Klan sont condamnés à entre trois et dix ans de prison. Aucun d’entre eux ne servira plus de six ans. L’homme derrière les meurtres, Edgar Ray Killen (un pasteur qui en 1964 n’avait pas été inquiété), est condamné en 2005 à l’âge de 80 ans, à soixante ans de prison. (Cette affaire sert de base au film « Mississippi Burning » d’Alan Parker en 1988.)

Le 4 avril 1968, à l’âge de 39 ans, le pasteur Martin Luther King Jr. est assassiné lors d’un discours, à Memphis dans le Tennessee. Symbole de la lutte pour les droits civiques, l’auteur de « I Have à Dream’s est abattu si un homme est bien condamné pour le meurtre, le mystère autour de son organisation demeure. 

Ces personnes, mortes à cause d’une couleur de peau, pour des idées, un combat, ou encore du fait de leur influence, ne représentent qu’une infime part des multiples martyrs qui parsèment l’histoire américaine. Qu’il se soit passé dix, vingt, trente, quarante, cinquante ans ou un siècle, voire trois siècles, les stigmates de l’esclavage se perçoivent en outre au sein d’une société américaine morcelée. 

Une production nécessaire dans un monde qui n’évolue pas assez vite

Lorsqu’en 2018 Rusty Cundieff et Darin Scott proposent une suite à leur exceptionnel « Tales From the Hood » distribuée vingt-trois ans plus tôt, forcément il y a une certaine attente qui se crée. En un sens, cette suite apparaît problématique, car il ne parvient jamais à retrouver le niveau cinématographique de son aîné. En revanche, les deux compères n’ont absolument rien perdu de leur mordant et propose à nouveau une vision vitriolée d’une Amérique post Black Live Matters et #metoo, au milieu de la présidence Trump.

Une pancarte indique "Museum of Negrosity" dans Tales From the Hood 2
Une pancarte suffisamment évocatrice…

Avec un budget réduit, ce DTV distribué par les 20th Century Fox reprend le principe du premier opus, avec un arc narratif central, qui sert de prétexte à raconter des histoires, qui forment le cœur du métrage. Si le film ne parvient à retrouver son ambiance inspirée de « Creepshiw », il se rapproche néanmoins d’un épisode de « Black Mirror » avec un propos moquant la technologie, pour appuyer bien entendu les thématiques de fond.

Racisme passif et actif, suprémacisme en roue libre, sexisme institutionnalisé, agression sexuelle, morale ou physique et hypocrisie politique, les problématiques abordées se montrent tout particulièrement riches. Bien amenées et relativement bien traitées, elles alimentent un modeste film d’horreur qui manque un peu de générosité, que sauve un propos qui ne peut laisser de marbre. En quatre histoires, plutôt inégales, Cundieff et Darin, qui sont ici co-scénaristes et co-realisateur, dressent un petit tour d’horizon des plus incisifs d’une population américaine en pleine évolution. 

un suprémaciste blanc dans Tales From the Hood 2
L’origine de tous les maux

Si le métrage manque d’une forme aboutie et ressemble un peu à n’importe quel DTV fauché, c’est dans le fond du propos qu’il tire toute sa force, et évite l’écueil de la suite inutile. Les deux auteurs derrière la caméra détiennent encore des choses à dire, savent parfaitement les exprimer, et en vingt-trois ans ils n’ont rien perdu de leur verve.

Le retour de l’incontournable Mr Simms

Ils ramènent ainsi l’inquiétant Simms, interprété cette fois par le cultissime (et devenu trop rare) Keith David, qui livre une performance réjouissante et tout aussi flippante que Clarence Williams III qui occupait le rôle en 1995. Il est ici invité à la demande d’un industriel qui met au point un robot policier, pour défendre les Américains et l’Amérique. Mais pour cela, il a besoin de connaître des histoires authentiques concernant la cible privilégiée des forces de l’ordre : Les Afro-Américains.

David Keith dans Tales From the Hood 2
Keith David prête désormais ses traits au terrifiant Mr Simms…

Si le postulat de départ est un petit peu tiré par les cheveux et ne fonctionne pas vraiment, la bonne humeur des comédiens. nés rend le tout juste ce qu’il faut de délirant. Mais également inquiétant à l’instar de son conteur, Mr Simms et son fameux « The Shit ». Ainsi, la conclusion de ces saynètes, qui créent un lien avec les différents segments, vaut le détour et promet un moment plutôt fun. L’humour de Cundieff et Scott s’y retrouve et c’est le point fort du film. Pour exemple, l’industriel se nomme Dumass Beach… (Dumb Ass Bitch…). C’est simple, mais ça fait son effet. 

Une œuvre incisive, mais inégale

Particulièrement ancrées dans notre contemporanéité, les différentes histoires mettent l’accent sur les évolutions de la société depuis 1995. L’horreur est alors générée par le fait que ça n’a pas changé aussi rapidement que ça. Même si ici et là des améliorations se perçoivent, elles s’en situent qu’à leurs commencements. À la sortie du film, #BLM est apparue cinq ans plus tôt et #metoo à moins d’un an. Toutefois, tout autant visionnaire qu’en 1995, il fait lui aussi écho à des évènements s’étant produits après sa production.

Tales From the Hood 2
Le film n’oublie jamais les tropes inhérents à l’Horreur

Si deux segments font un peu pâle figure, et manquent clairement d’une tonalité convaincante, suffisante pour les rendre originaux, elles sont contrebalancées par deux autres complémentaires. L’un compose avec une note comique, fun sans se montrer stupide, quand le second, plus dramatique, rappelle que le genre de cette production reste bien l’horreur. Par manque de moyen ou de temps, l’ensemble manque d’une réelle montée en tension comme son aîné, avec lequel il est difficile d’éviter la comparaison. 

La réalité d’une communauté de seconde zone

La dernière histoire de Simms constitue celle qui polarise tout l’intérêt de l’entreprise. Titré « The Sacrifice », son écriture particulièrement fine replonge l’audience dans l’horreur pure, pas nécessairement celle de cinéma, mais une encore plus viscérale : la condition noire aux États-Unis. En réunissant des personnages historiques qui, a part Martin Luther King Jr., ne sont pas spécialement reconnu au-delà des frontières de la communauté afro-américaine, il propose une tournure scénaristique des plus saisissante. À l’image de son final à la puissance évocatrice d’une telle intensité, il ne peut laisser indifférent. 

Un homme brandit un crucifix dans Tales From the Hood 2
Ceci est inutile contre un CRS, mais ça se tente.

Les sacrifiés de l’intitulé, sont toutes ces personnes du commun, que nous sommes et que nous croisons au quotidien, qui avec une autre couleur de peau, à un autre endroit, auraient pu prétendre à une vie normale. Pourtant, la leur fut écourtée par quelques hommes blancs craignant la disparition d’une suprématie de façades que l’histoire s’est chargée de réduire drastiquement et qui poursuit son cours. Ce segment pose des questions d’ordre moral, et met à rude épreuve son protagoniste, un Afro-Américain militant républicain. Époux d’une femme blanche, enceinte, ils vivent au fin fond d’un Mississippi qui n’a pas encore réglé tous ses comptes avec ses démons. 

Tales From the Hood 2
L’Américain noir et l’Américain blanc, toute une symbolique !

Ce récit fait état de ce que c’est « être Noir » dans les États-Unis de Donald Trump, avec tout ce que cela implique de crise identitaire, à la fois personnelle et à la lumière d’une histoire communautaire jonchée de drames. Il demeure en effet difficile pour un Afro-Américain de s’y retrouver, dans ce système où il n’y a pas si longtemps ses ancêtres étaient dépourvus de droit civiques. Où ils n’étaient pas considérés, en particulier dans le Sud, comme des humains à part entière. 

Techniquement pas aussi réussit que le premier, mais fondamentalement aussi puissant

Alors oui, formellement ça ressemble plus à un épisode de série qu’à un film, puisque le concept même et ses sketchs en épousent les principes. De plus, « Tales From the Hood 2 » est un DTV, à replacer dans un mode de production contraignant et un contexte. Il sort part exemple la même année que la disparition d’Edgar Ray Killen, le commanditaire des meurtres d’Andrew Goodman, James Earl Chaney et Michael Henry Schwerner, morts en prison à l’âge de 93 ans. Ainsi, le film ne se révèle plus tellement important pour des raisons cinématographiques, mais avant tout pour ce qu’il incarne et ce qu’il diffuse.

Une poupée extrêmement raciste dans Tales From the Hood 2
Une marionnette possédant toutes les caractéristiques du racisme étatsunien

Certes, ce n’est pas le petit chef d’œuvre escompté, comme le premier, mais il en possède toutes les qualités. À voir dans quelle mesure les segments se montreront prophétiques. Car à moquer son époque, en particulier le déclin du vieux mâle blanc qui peuple les arènes politiques, « Tales From the Hood 2 » pose le doigt sur un véritable malaise. Par sa structure fine et maline, à mi-chemin entre l’objet de cinéma, l’art, l’histoire et le constat d’une société en ébullition, qui peine à évoluer plus vite qu’elle ne le devrait. En témoignent ces sacrifiés, auxquels deux ans plus tard venait se rajouter George Floyd, pour ne citer que lui. En effet, le plus malheureux dans toute cette histoire, c’est que la liste est certainement loin d’être exhaustive.

Pour en Savoir Plus

Tales From the Hood 2 sur IMDB

Bande Annonce

Forgé par le gore et l'horreur déviante, amateur de Slasher depuis sa plus tendre enfance, Stork est toujours là où on l'attend : devant un film, muni de sa plume et prêt à suriner le moindre métrage...

No comments

Laisser un commentaire

LES DERNIERS ARTICLES

145