The Invisible Man

Leigh Whanell, U.S.A, 2020, 120 min

Sous le patronage de Jason Blum, devenu LE producteur phare d’un cinéma d’Horreur de qualité, Leigh Whannell vient dépoussiérer un mythe né au XIXe siècle. Il le décape en bonne et due forme avec brio et élégance. Que ce soit dans le propos, le récit ou la mise en scène, « The Invisible Man » se révèle un petit chef-d’œuvre, et je pèse mes mots. En transcendant totalement le matériau d’origine, un roman de H.G Welles publié en 1897, Whanell s’approprie cette mythologie et tout le champ des possibles d’un personnage au pouvoir qui dépasse l’entendement.

Un fauteuil vide dans un salon, dans Invisible Man
Des effets spéciaux absolument exceptionnels !

Avec son arc narratif simplifié et épuré de toute fioriture, le récit se concentre sur l’essentiel. C’est avec une efficacité folle que Whanell, dont ce n’est que la troisième réalisation, exploite son sujet sous la forme d’un spectacle d’une richesse inouïe. Distillant un suspens d’envergure se maintenant sur la durée, « The invisible Man » se révèle une aventure angoissante magistralement menée par un auteur qui sait parfaitement où il va. Sa structure même correspond aux codifications d’un style de production un peu disparu, qu’il parvient à maîtriser, en dégageant son contenu de tout surplus alourdissant.

Les craintes d’un futur en passe de devenir fou

Sur la lancée de son « Upgrade », en 2018, Leigh Whannell poursuit l’exploration de la thématique de l’humain augmenté. Il scrute les dangers que peut engendrer le transhumanisme s’il échoue entre les mains de personnes peu recommandables. Galvanisées par leurs propres êtres, elles ont tendance à considérer le reste de l’humanité inférieure, indigne d’un libre arbitre dont ils pensent désormais avoir la maîtrise (coucou Elon !).

Oliver Jackson-Cohen dans Invisible Man
Jeff-Mark Musk

Il y a vingt ans, le « Hollow Man » de Paul Verhoeven, une variation personnelle de l’homme invisible, s’interrogeait également sur les risques d’une science incontrôlable, et l’impact négatif que la (non) maîtrise technologique peut avoir sur un cerveau sain et brillant. Reçu froidement, c’est avec le temps qu’il acquiert une certaine réputation, car même si c’est une œuvre mineure, ça reste du Verhoeven. Donc c’est un peu au-dessus de la mêlée.

Un monde entre deux monde

Par le biais de cette réflexion de fond, « The Invisible Man » invite à se questionner sur le monde contemporain, qui se trouve aujourd’hui à un carrefour déterminant. Des choix de société sont à conduire, mais ils sont freinés par différents modèles idéologiques diamétralement opposés qui se percutent. Surprenante et inattendue, chaque idée est exploitée à la perfection, créant une sérieuse ambiguïté sur les raisons et les motivations de l’homme invisible. Son leitmotiv apparaissant des plus maigre, renferme en fait une dimension qui dépasse la forme même du métrage.

Elizabeth Moss dans Invisible Man
EN sous-texte le film évoque la dépression en lien à la condition sociale

Le métrage s’inscrit ainsi dans l’air du temps, ce qui en constitue la force, évoquant notamment le mouvement #MeToo, #TimesUp, l’affaire Weinstein, et cette nouvelle libération de la parole des femmes. Véritable ode à la féminité, portée par une Elisabeth Moss absolument exceptionnelle, le film sonde les malaises sociétaux actuels, en lien avec la place des femmes dans la société. Elles trouvent ainsi de nouvelles positions, à mesure que les prédateurs, misogynes, machos et autres sexistes tombent les uns après les autres.

Un film progressiste et conscientisé

Hautement progressif, « The Invisible Man » observe tout en finesse de la place et du rôle des femmes au cœur de nos sociétés. Ces systèmes sont sclérosés par une nature fondée sur des dogmes judéo-chrétiens obsolètes, qui n’ont plus lieu de dominer à l’heure actuelle. Et c’est là que le génie du métrage frappe, dans cette capacité à mêler de concert (par le biais d’un récit purifié) des thématiques qui évoluent ensemble à mesure que s’expose le récit.

Elizbeth Moss sous la douche, avec une trace de main dans la buée, dans Invisible Man
Ce n’est pas l’invisibilité le plus terrifiant, c’est ce qui en est fait…

Elles concernent principalement les dangers d’une technologie utilisée à mauvais escient, ou par la souffrance psychologique. Cette dernière s’abat sur l’héroïne Cecilia, qui cherche à se défaire de l’emprise d’un être manipulateur. Il l’a considéré comme un objet de sa réussite, avant de concevoir qu’elle puis être une individualité pleine et entière. L’aveuglement devient ainsi l’un des points principaux du métrage, traduit par la nature même de l’homme invisible, et de son attachement à une société dépassée, où la masculinité régnait en maître.

La fin des privilèges d’une caste

Désormais, le modèle du mâle blanc dominateur s’efface, avec l’arrivée des femmes sur un pied d’égalité. Et le film n’oublie pas non plus de citer d’autres minorités devenues une part inhérente de nos structures sociales. Pour exemple, l’un des protagonistes est un policier afro-américain, membre d’une communauté qui n’identifie plus l’individualité selon des critères au-delà de l’indice humain. Cette humanité elle nous concerne tous, puisque jusqu’à preuve du contraire à part quelques reptiliens biens cachés parmi nous, nous demeurons tous humains. « The Invisible Man » vient dresser un portrait multiple, correspondant à un modèle en fin de course, qui a forgé nos sociétés voilà déjà des siècles.

Elizabeth Moss agressée et soulevée du sol dans Invisible Man
En sous-texte le film évoque beaucoup de thématique, avec visuel à l’appuie

Nous nous retrouvons aujourd’hui à la veille d’une ère où le peuple, dans son internationalité, est sur le point de former un tout foisonnant. Mais il reste encore à affronter quelques vieux de la vieille agissant par le biais de valeurs et traditions appartenant à d’autres millénaires. Ceux-là mêmes qui s’accrochent désespérément à des privilèges désuets qu’ils se sont auto-octroyés au fil du temps. L’œuvre de Leigh Whannell repousse ainsi les thématiques présentent dans « Upgrade », avec une forme de complétude, comme un prolongement malin qui explore ses différentes réflexions.

Un message social et politique qui tape fort

L’Humanité se tient à l’aube d’une évolution amorcée au début des années 2000, avec le boom technologique. Mais ce n’est que maintenant, avec le recul, que l’ampleur de ce progrès peut se percevoir au quotidien, devenant même indispensable pour certaines personnes. Ce que vient dire « The Invisible Man » est que la technologie peut pousser les âmes les moins vertueuses vers les chemins les plus sinueux. L’avancée technologique incontrôlable peut s’avérer problématique, surtout au cœur d’une société qui se réinvente, perdue dans un monde devenu complètement fou et au bord de la rupture.

Aldis Hodge dans Invisible Man
Aldis Hodge incarne un policier, illustrant au passage un propos fort

Dans la grande tradition des chefs d’œuvres S-F d’anticipation, le métrage à un pied ancré dans notre contemporanéité, et en même temps il se trouve déjà dans notre futur proche. Cela lui permet d’aborder, avec un point de vue radical, les balbutiements d’une technologie devenue une réalité. Le tout se traduit par le biais d’un portrait d’une Amérique où ceux qui étaient il y a quelques années encore membres des « minorités », sont aujourd’hui les acteurs principaux d’une société multiculturelle.

Si la situation de ces derniers s’est clairement améliorée, il demeure tout de même ici et là un sexisme et un racisme culturel latent. Il s’accroche et reflète la crainte d’une part de la population à voir son pouvoir disparaître (coucou le vieux mâle blanc !). En résulte une conception d’un monde déjà dans le futur, mais ralenti par un passé qu’il ne parvient pas à abandonner derrière lui.

La fin de l’humanité archaïque par Leigh Whannell

Loin de tout manichéisme, le métrage fait preuve d’une grande intelligence. Si la menace est ici identifiée comme l’homme blanc de pouvoir, célèbre et fortuné, dont la renommée le conçoit tel un humain d’envergure indisputé, son arrogance, son impunité et son autorité sont remise en cause. Et sa seule défense passe par l’expression d’une violence des plus brutale.

Oliver Jackson-Cohen et Elizabeth Moss dans Invisible Man
Harcèlement Psychologique : Le Film

Bien plus psychologique qu’horrifique, « The Invisible Man » s’enfonce dans la psyché malade d’une espèce humaine schizophrène. Indissociable d’un passé et de valeurs désuètes, elle cherche néanmoins à regarder dans un futur peu rassurant, où l’orientation qu’adoptera l’humanité reste en suspens. Si actuellement plusieurs voies sont ouvertes, des choix demeurent et des décisions sont à prendre. En somme, il reste du boulot.

Maîtrisée de bout en bout, captivante et bourrée d’audaces, que ce soit dans les situations ou dans les choix de mise en scène extraordinaires, l’œuvre de Leigh Whannell monte crescendo. Elle laisse les spectateurices sur un climax final virtuose, par le biais d’un plan ultime des plus glaçant. L’humain n’est pas une machine, il ressent physiquement et psychologiquement, ses actes sont calculés et définis par une personnalité propre à chaque individu.

Une œuvre percutante et pertinente

Le film laisse ainsi en suspension une question cruciale, permettant aux spectateurices de se montrer seuls juges de l’action de personnages écrits avec une grande finesse, et tout aussi bien interprétés. Dès lors, c’est à nous, l’audience, que s’adresse directement le métrage, en jouant avec nos peurs en nous prenant sans détour à parti.

Un policier braqué par sa propre arme dans Invisible Man
« Vos papiers s’il vous plaît ! » (c’est moins drôle dans ce sens, hein?)

« The Invisible Man » n’est pas un genre de production autoguidée. Ici, le public est directement impliqué dans l’intrigue, à la fois juge et témoin de ce qui se déroule à l’écran. En grand film de proposition, c’est une expérience riche qui nous est mise à disposition. C’est une vraie immersion de Cinéma, de plus en plus rare dans la production hollywoodienne. Cela redonne espoir en une industrie fourvoyée dans des spectacles de feignasses, accumulant œuvres génériques en œuvres répétitives, qui n’apportent plus rien de novateur.

Un succès critique et public qui rassure

Le film n’a coûté « que » 7 millions de $ (pour exemple, « Bienvenue chez le Ch’tis a coûté 19 millions d’euros, oui, c’est de l’acharnement), et en a rapporté près de 145 millions lors de son exploitation. Une preuve supplémentaire que la qualité intrinsèque d’une œuvre ne dépend pas de son budget, bien au contraire. Avec une telle somme, il est certain que l’auteur qu’est Leigh Whannell fût le seul maître à bord. Dictant ce à quoi il voulait faire ressembler sa réalisation.

Elizabeth Moss armée d'un couteau de cuisine dans Invisible Man
L’ironie du couteau de cuisine comme arme de survie (et un clin d’œeil au Slasher)

Avec les années, le producteur Jason Blum s’est révélé du genre à encourage les audaces artistiques, laissant (parfois) de côté les motifs mercantiles présents juste faire de la thune à tout prix. Cela fait de « The Invisible Man » une œuvre modeste, en plus de se montrer sympathique, car jamais elle ne se prétend plus que ce qu’elle est : un chef-d’œuvre (oui oui) de série B.

Un vrai cinéaste est né

Jamais Leigh Whannell ne compromet l’intelligence de son projet, l’assumant avec une cohérence et une pertinence qui ne peuvent qu’impressionner. Cette œuvre fera sans doute date, et permettra d’ouvrir une nouvelle porte pour le cinéma S-F de demain. Ça, c’est rassurant, et ça donne vraiment envie de voir comment Hollywood, après une décennie considéré comme un âge de plomb, va parvenir à se réinventer et nous surprendre. Nous, simples spectateurices qui ne demandent rien de plus que d’être emportés.

Pour en Savoir Plus

Invisible Man sur IMDB

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Forgé par le gore et l'horreur déviante, amateur de Slasher depuis sa plus tendre enfance, Stork est toujours là où on l'attend : devant un film, muni de sa plume et prêt à suriner le moindre métrage...

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