Braindead

Peter Jackson, Nouvelle-Zélande, 1992, 104 min

Pour « Braindead », sa troisième réalisation, tous les augures apparaissent au beau fixe pour Peter Jackson : un script solide, un temps de développement confortable, un budget conséquent de plus de quatre millions de $ néo-zélandais (dont il ne dépensera même pas l’intégralité) et plusieurs records à la clé. Pour commencer, il s’agit en 1992 de la production la plus chère jamais entreprise en Nouvelle-Zélande. Puis, il se voit distribuer sur le territoire, autant de copies qu’un gros blockbuster de la même année : « Batman Returns ». Cette débauche de moyen est entreprise pour une comédie romantique gore, soit (à première vue) un produit de niche, apparaît peu commune. L’autre record concerne l’une des séquences considérées à l’époque comme la plus sanglante jamais tournée, avec plus de 300 litres déversés à l’écran en quelques minutes.

Diana Peñalver dans Braindead
Paquita, un personnage bien loin de ne répondre qu’à une fonction

Ce n’est pas parce que, ça y’est, Jackson opère enfin sur une production sérieuse, en tant que cinéaste à part entière, qu’il en a oublié son identité. Bien au contraire. « Braindead » c’est du Peter Jackson dans le texte, une conclusion parfaite à une trilogie informelle explorant les limites du trash et de l’horreur, pour le plus grand plaisir des cinévores déviants. Le film constitue à la fois son œuvre la plus aboutie (en 1992), la plus extrême (du gore non-stop sur plus de 1 h 40), la plus référencée (si après ça vous ne comprenez toujours pas qu’il est fan du « King Kong » de 1933, pensez à [re]voir le « King Kong » de 1933), mais aussi étrange que cela puisse paraître, c’est également sa réalisation la plus mature. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il renie sa nature de sale gosse, car il propose sans cesse un spectacle fun, entièrement décomplexé, et effronté à souhait.

Une Love story sur fond historique

Passionné d’histoire, Peter Jackson décide de situer son récit, non pas dans la Nouvelle-Zélande de 1992, mais dans celle des 50’s. Pour cela, il entreprend une reconstitution d’époque, avec costume, véhicule, déco’ d’intérieure, et un magnifique plan séquence tout en maquette lors du générique d’ouverture. Pour un film de zombie débile, le parti pris peu conventionnel permet au cinéaste d’y insuffler un cachet artistique classe, qui fait trop souvent défaut au genre. Il ne cherche pas par là à surfer sur une hypothétique vague populaire (en 1992, le zombie n’est plus tellement d’actu’). Il propose avant tout une histoire, ancrée dans un contexte solide, avec tout un arrière-plan parfaitement bien établi, qui donne de l’ampleur au récit.

Timothy Balme dans Braindead
Le lunaire Lionel, fils à maman coincé dans une vie qu’il rêve différente

Car, avant de constituer un délire gore mâtiné de zombie vorace, « Braindead » c’est surtout une véritable Love story, une vraie de vraie, avec un amour pur et innocent. La passion brûle entre Lionel, un fils de la haute, prisonnier d’une mère castratrice avec laquelle il vit depuis la mort de son père (lors d’un événement traumatisant vécu dans son enfance), et Paquita, une épicière modeste d’origine espagnole, issue de l’immigration. Ce couple atypique permet d’en apprendre un peu plus sur la société néo-zélandaise des années 1950, ce qui est toujours un plus dans la construction d’une histoire. L’importance du contexte, on ne le répétera jamais assez.

« Ta mère a mangé mon chien ! »

Cette facette romantique, aperçue vite fait dans « Meet the Feebles », occupe ici l’axe central du récit, puisque toute cette aventure s’organise autour de l’amour entre Lionel et Paquita. Cette idylle est mise en péril par la toxicité intrusive de la mère de Lionel, dont la morsure par un rat-singe de Sumatra, qui la transforme progressivement en zombie, n’arrange rien. Elle contamine alors petit à petit tout un tas de gens, et Lionel, conditionné par l’amour semi-incestueux pour sa chère maman, ne peut se résoudre à l’envoyer ad patres. Il entame par conséquent une collection de cadavres vivants, desquels il s’occupe avec grand soin, mais ne contrôle absolument rien de la situation. Provoquant un bordel sans nom totalement incontrôlable.

Elizabeth Moody dans Braindead
La charmante Mme Cosgrove, la maman tant aimante de Lionel…

Dès lors se dessine le patron absolument génial qui réside derrière tout le récit, multipliant les arcs narratifs audacieux, avec un scénario solide, qui brouille la notion de prétexte. En effet, est-ce que toute l’histoire entre Lionel, sa mère et Paquita sert de motif à l’avalanche de gore que constitue le métrage ? Ou est-ce l’expérimentation gore qui offre une excuse pour délivrer une épopée sentimentalo-débile des plus matures, avec de véritables enjeux et des thématiques riches ? That are the questions. Mais en fait, on s’en fout…

Un délire radical et jusqu’au-boutiste

Peu importe le sens dans lequel on le prend, tout dans « Braindead » s’avère génial. Merci à la collaboration entre Peter Jackson (sans doute responsable de l’aspect irrévérencieux) et Fran Walsh (sans doute responsable de la maturité faisant défaut à « Bad Taste », mais dont l’héritage punk apporte un what the fuck salvateur). Cette association étincelante permet à ce métrage hybride de demeurer unique en son genre. Il pourrait cependant être comparé en substance avec les films de morts-vivants de George A. Romero. Il dégage en effet un sous-texte social, avec en plus un humour bizarre et cartoonesque, qui ne se trouve pas chez le père du zombie moderne. En ce sens, « Braindead » fait office d’exception dans son domaine, et c’est ce qui le rend certainement aussi singulier, car trente ans après, il reste inégalé. Sauf peut-être « Shaun of the Dead », qui en 2004 propose une autre approche sur une note similaire.

Le rat-singe dans Braindead
Le rat-singe de Sumatra, par qui tout le drame arrive…

Construit sur un mode crescendo, le récit ne fait que cumuler les couches au fur et à mesure de l’action, pour se clore dans une explosion extrêmement gore complètement délirante. Absolument généreuse, la méthode Peter Jackson semble hermétique à la peur du ridicule, tellement il y va franchement, sans complexes, et le moins que l’on puisse dire c’est que c’est efficace. Le gore prend ici les airs d’un absurde Monty Pythonesque, porté à un niveau différent dans l’expérimentation sans concessions du charcutage humain. Sous cet angle apparaît le bilan d’une déviance étrange touchant le cinéaste à l’origine de ce mashup improbable. La romance et tout l’aspect psychologique qui se dégage de la relation entre Lionel et sa mère donnent des indications contradictoires. Et c’est en cela que sa mission est plus que réussie, car il ne se destine pas seulement aux amateurs d’horreur, mais aux amoureux de cinéma de toute sorte.

Peut-être le chef d’œuvre ultime du Gore !

En effet, « Braindead » contrairement à ce qu’il pourrait sembler, ne correspond pas (tout à fait) à un film de niche, c’est une œuvre cinématographique aboutit. C’est une véritable expérience de cinéma, une démarche conceptuelle qui ne peut que sustenter les spectateurices de tous horizons. Certes, il est nécessaire d’être prévenu avant de se lancer dans son visionnage, car ce n’est pas juste un métrage qui sort de sa zone de confort, il la défonce sans vergogne la zone de confort (avec un doigt bien tendu et un rire polisson). Il faut le voir comme une attraction à sensation, qui ne peut laisser indifférent, entre le dégout d’un délire visuel dégueulassement fun, les émotions que procure le parcours initiatique de Lionel et sa romance crédible avec Paquita.

Lionel et la tondeuse dans Braindead
« La fête est finie… »

Cela ne veut pas dire que le film s’avère facile à regarder, il y a même des passages particulièrement gênants, où l’ont retrouve l’esprit potache du Peter Jackson des années 1980. Mais sans cesse, cela est contrebalancé par ce que raconte l’histoire, puisque l’ensemble ne tient pas juste sur l’expression du gore. Il faut y déceler la complémentarité, celle d’une sorte de schizophrénie cinématographique, qui passe d’un extrême à l’autre. Comme lors d’une séquence, Lionel et Paquita vivent leur passion par l’acte d’amour, quand de son côté la mère de Lionel subit une mutation peu ragoûtante.

Derrière la frénésie gore, la naissance d’un vrai cinéaste

Au final, dans « Braindead » il y a deux films en un, deux genres plus ou moins antagonistes, qui forment pourtant un ensemble cohérent et fascinant, passant de la romance au gore en un plan. Poussant son concept à l’extrême, pour un résultat hors normes façonné par les facéties d’un Peter Jackson faussement en roue libre. Derrière ce joyeux bordel, des plus grandioses, se cache une œuvre majeure, non pas seulement dans son genre, mais dans ce vaste enclos du cinéma international. Il confirme au gore ses lettres de noblesse et prend au passage les siennes comme cinéaste accomplit, qui a compris ce qu’est et ce que doit être le Septième art.

Lionel et Paquita s'embrassent au milieu des morceaux de cadavres.
N’est-ce pas là le summum du romantisme au cinéma?

Alors qu’à première vue, ce cartoon à tripaille ne semble rien d’autre qu’une entreprise d’exploitation à destination d’un public bien précis, il en résulte une comédie romantique touchante. Un drame familial terrifiant, une œuvre virtuose aux délicates touches féministes (Paquita est bien loin d’être un personnage fonction) et un défouloir gore aussi rare qu’excessif.

Peter Jackson dans Braindead
Le coupable

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Forgé par le gore et l'horreur déviante, amateur de Slasher depuis sa plus tendre enfance, Stork est toujours là où on l'attend : devant un film, muni de sa plume et prêt à suriner le moindre métrage...

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