Peter Jackson, Nouvelle-Zélande, 1989, 93 min
Initialement prévue pour servir de base à une série-TV, cette première expérience de Peter Jackson comme réalisateur professionnel qu’est « Meet the Feebles », connait une gestation tout aussi compliquée que « Bad Taste », le charme amateur en moins. L’idée d’une série est abandonnée en cours de tournage, ce qui impliqua une réécriture sur le tard et une extension du budget et du temps, pourtant extrêmement réduits.
Satire trash et vitriolée du show-business, cette variation sous crack des Muppets s’avère une expérience délirante, complètement barrée. Il est indéniable que Jackson s’est éclaté à détourner et pervertir une base d’inspiration destinée aux enfants. Cette farce sans concessions présente une galerie de personnages tous aussi répugnants les uns que les autres, quand ceux qui ne le sont pas se font de toute façon broyer dans un univers impitoyablement hardcore.
Les Muppets version « Moches, Sales et Méchants »
Vulgaire, insolent, ultra-violent et gore, Peter Jackson poursuit ici l’accomplissement d’une véritable identité cinématographique. À plus d’un égard, « Meet the Feebles » se présente comme une extension de « Bad Taste ». Par son visuel, déjà, mais aussi par la proposition d’une expérience extrême, composée de moult références, pas encore tout à fait digérées par son auteur. Les parodies de la Guerre du Vietnam réservent ainsi leur lot de délires cinégéniques !
Il s’avère difficile de ne pas succomber au charme des marionnettes, dont l’évidence cheap donne à l’ensemble ce côté Z que semblait tellement affectionner Peter Jackson. Volontairement outrancier, le film fonctionne sur de nombreux points, mais montre des limites, comme par la multiplication de saynètes et de personnages, qui offre au métrage une nature brouillonne, qui peine à identifier un but. C’est sous la forme d’un patchwork foutraque, qui permet certes de présenter les quelques protagonistes, que le récit se construit, jusqu’à l’épique scène finale. Si de nombreux gags font mouche, les baisses de rythme peinent à livrer un ensemble aussi fun que « Bad Taste », sur la durée.
Ça c’est une production décalée…
Toujours autant potache, Peter Jackson ne lésine pourtant pas sur les séquences trash, qui comptent en général parmi les plus réussies du film. Mais l’insuffisance de moyens se fait souvent ressentir, provoquant une double impression contradictoire.
1re impression : Le manque de temps, de budget et sans doute la réécriture tardive, laisse une structure narrative qui peine à convaincre. Dès lors, le métrage apparaît comme en mal d’aboutissement, une sensation récurrente tout au long des 1 h 33 et jusqu’au générique.
2e impression : L’effet d’urgence, dans la conception des marionnettes et un scénario peu clair, offre à l’ensemble le charme d’une œuvre désuète. Sa seule raison d’être se résume à un gros délire potache d’ado attardé, qui s’amuse à éclater tout un business-modèle et l’héritage de Jim Henson, juste pour se marrer…
Un objet « WTF? » pour notre plus grand plaisir
Et pourtant, ça fonctionne, par l’apport d’un arc dramatique totalement décalé avec le reste du film. Plutôt inattendue, au beau milieu de ce marasme Z cauchemardesque, une réflexion des plus intéressantes se met progressivement en place, en démâtant du manichéisme à tour de bras. Cela aboutit à une scène de massacre hyper jouissive en fin de métrage. Tout comme cette amourette crédible entre un hérisson naïf et une caniche ingénue, seule petite bouffée d’air frais au beau milieu de l’atmosphère malsaine qui règne dans les coulisses du spectacle des Feebles.
Émerge dès lors des éléments qui se feront encore plus présent dans la réalisation suivante de Peter Jackson, par le prisme de la romance notamment. Son identité artistique trouve ici de nouvelles orientations, auxquelles la présence de Fran Walsh (crédits Frances) au scénario n’est pas étrangère. Elle apporte son expérience punk, qu’elle met au service d’une œuvre qui se défie de tout conformisme. « Meet the Feebles » marque ainsi leur première collaboration, et annonce une complémentarité par le biais de quelques fulgurances présentes au milieu de ce gros délire marionnettesque.
Des trucs comme ça, on en voit pas tous les jours…
Conte moral sans moral, programme pour enfant à ne surtout pas mettre devant leurs yeux, satire désespérée d’un monde pourri que l’anthropomorphisme ne rend pas plus digeste, « Meet the Feebles » s’avère un objet étrange. Unique en son genre (d’autres s’y sont essayés sans succès), ce numéro d’équilibriste aurait pu se résumer à sa vulgarité crasse et gratuite. Pourtant, le film se révèle être un drame (presque) touchant sur l’envers du rêve de gloire et de célébrité.
Ce second opus de Peter Jackson fait apparaître l’immaturité feinte d’un cinéaste qui cache bien plus que ce que ses choix artistiques peuvent laisser penser. Il a toujours la volonté de proposer une expérience de cinéma, avec tout ce que cela implique de références et d’inspirations. Ce petit film atypique mérite d’être (re) découvert et apprécié pour ce qu’il est : un trip dément qui s’amuse avec des poncifs de cinéma. Sans sacrifier une bonne humeur qui rivalise avec la nature sombre et cradingue d’une œuvre dont le final, en feu d’artifice bourrin d’anthologie, vaut de passer sur tous ses défauts.
Pour en Savoir Plus
Meet the Feebles sur Rotten Tomatoes
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