Yeon Sang-ho, Corée du Sud, 2016, 82 min
Quelque mois avant « Dernier Train pour Busan » Yeon Sang-ho sortait « Seoul Station » son troisième film, comme un prequel à sa première œuvre live, qui allait rencontrer un succès international, bien mérité. Bien plus maîtrisé que ses deux précédentes productions, le métrage évite les erreurs communes au cinéaste, et s’avère abouti, ne sombrant jamais dans le stéréotype facile. En résulte un divertissement rondement mené et étonnamment fun, ce qui manquait un peu à ses premiers métrages.
Un réalisateur qui se fait plaisir avec le genre
Spectaculaire, violent, généreux en action et en situations stressantes, le tout est très bien rythmé et même agrémentés de quelques traits d’humours, venant détendre un petit peu une atmosphère en flux tendu. Particulièrement sympathique, le métrage parvient à allier un regard critique, envers la société coréenne, tout en proposant un spectacle divertissant. « Seoul Station » reprend à son compte les codes classiques du film de Zombie, en optant pour le mort-vivant qui sprint, et s’amuse avec. Le métrage propose deux points de vus différents. Celui de Hye-sun une jeune fugueuse prise au piège dans la gare de Séoul, et celui de son petit-ami Ki-wong qui se trouve à l’extérieur et cherche à la retrouver. Ce dernier est accompagné de Suk-gyu, le père de Hye-sun, à la recherche de sa fille dont il a perdu la trace depuis longtemps.
Ces deux arcs narratifs permettent d’aborder la situation par deux facettes bien distinctes. Dans un premier temps l’aventure de Hye-sun, témoin de la propagation des zombies dans la gare, et dans un second temps la quête de Ki-wong et Suk-gyu, qui se trouvent aux alentours du bâtiment. À mesure qu’ils se rapprochent de leur but, la tension monte crescendo. Et c’est là l’un des points forts du récit. L’autre grande réussite se trouve dans le mélange des genres. Il s’agit avant tout d’un film de zombie, avec une mystérieuse pandémie (les informations fournies dans « Dernier Train pour Busan » révèle qu’il s’agit d’infecter) et son lot d’action et de suspens. Si l’ensemble possède une dimension principalement divertissante, un message social en toile de fond n’est pas omis.
La gare, ce lieu si… cosmopolite !
Les premières victimes de l’hécatombe, par qui le virus se propage, sont les SDF présents dans la gare, ceux qui hantent les lieux, loin des considérations. Ces marginaux, ils sont oubliés par la société, et cette dernière fait semblant de bien fonctionner en détournant bien le regard. Dès lors, le choix de la station apparaît des plus pertinents. Pour reprendre les mots peu finauds d’un chef d’État aux compétences douteuses, la gare est un lieu où se croisent « ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien ». Ces derniers, citoyens au bas de l’échelle, sont aussi les populations les plus vulnérables, les premières livrées aux risques pandémiques.
Choisir la gare renforce la notion de diffusion, puisqu’un virus ne reste pas sagement clos dans un endroit confiné. Il se répand, invisible, se colportant d’individu en individu, naturellement en mouvement. L’idée des trains, il suffit de regarder la carte du réseau ferroviaire de n’importe quel pays, pour en constater l’ampleur gigantesque. Face à une pandémie, il devient difficile, voire impossible, pour les autorités d’envisager le drame. Dans un premier temps, leur réaction consiste à maintenir les populations touchées dans des endroits clos, pour les contrôler, et dans le pire des cas les massacrer.
C’est toujours les mêmes qui payent
Ceux et celles qui sont sacrifiés sans états d’âme sont de petites gens que la force martiale brime avec violence. C’est plus tardivement qu’apparaît le véritable problème, dès lors que la maladie touche les classes élevées, dont la sphère dirigeante. Seulement, le manque de discernement dans les premières heures de la pandémie fait que tout le monde y est confronté. Car un virus, rappelons-le, ne possède ni idéologie, ni dogme, et les obédiences politiques, il s’en cogne. Oui, un virus n’a pas de conscience.
Le malaise social, présent dans la gare, donne ainsi lieu à des séquences cocasses. Comme celle où un policier appelle des renforts, ne sachant trop comment préciser la situation, il se déclare attaqué par des SDF, sans prendre en compte leurs attitudes et le sang sur leurs vêtements. Ces personnes sont tellement reléguées au second plan de la société, qu’ils ne voient en eux que de dangereux marginaux, quand ce sont des monstres assoiffés de chair humaine.
À l’Horreur du Drame
À la dimension sociale Yeong Sang-ho vient greffer le drame familial, à travers ce père désespéré qui souhaite retrouver sa fille, perdue dans la zone mise en quarantaine par l’armée. Rapidement dépêchée sur place, cette dernière tire sans sommation sur quiconque dépasse la limite établie. Vivants comme morts-vivants, ils sont tous mis dans le même panier, sans aucune distinction. C’est ainsi une humanité en recul qui émerge face à la crise. Cela permet l’émergence de thématiques bien précises qui commencent à faire corps avec l’ensemble du cinéma de Yeon Sang-ho.
Tel l’expression d’une violence culturelle, quasi-institutionnalisée, témoignant d’une horreur quotidienne, par une manifestation du glauque et du malsain, héritages de « King of Pigs »et de « The Fake ». C’est à une humanité toujours plus proche du désespoir que s’intéresse le cinéaste, par une interprétation eschatologique que renforce la dimension zombiesque du film. Yeon semble prendre plaisir à composer une galerie de personnage, qui évite (enfin) de sombrer dans le stéréotype. Il y a ainsi un jeune policier un peu couard, dépassé par les évènements, devenant un danger supplémentaire pour ceux qui l’accompagnent. Un vieux SDF se révèle tour à tour courageux et dangereux, et une bande de trois amis coincés entre l’armée et les zombies prennent la décision de se battre contre ces derniers.
Une première incursion prometteuse dans le film de zombie
Excellente surprise donc que ce « Seoul Station », qui ne s’annonçait pas si stimulant et qui au final tient parfaitement la route. Il tient la comparaison avec les meilleurs œuvres du genre, sa nature d’animée ne joue pas du tout en sa défaveur, au contraire. C’est avec originalité que Yeon parvient à créer une véritable tension, qui rend l’ensemble des plus prenants. Même s’il est possible de regretter une ultime séquence too much et un peu gratuite, qui renvoi au malsain de ses deux précédents films.
Comme une mise en bouche pour son « Dernier Train pour Busan », Yeon Sang-ho poursuit donc l’exploration des mœurs et des dérives de la société coréenne. Même si ici c’est moins appuyé, car il parvient à mieux fondre ses obsessions et ses thématiques au cœur d’un film de genre qu’il est possible d’aborder avec deux lectures différentes. Une critique sociale, un film d’horreur, ou les deux, chacun reste libre de faire son choix.
Pour en Savoir Plus
Seoul Station sur Rotten Tomatoes
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