Pearl

Ti West, U.S.A, 2022, 102 min

Il est rare d’assister à la naissance d’une alchimie entre un cinéaste et une actrice, en quasi direct. Ça arrive, et il existe des exemples, mais la connexion entre Ti West et Mia Goth à un petit je ne sais quoi de magique. Alors que « X » était terminé, prêt à sortir, le Covid a frappé et le confinement nous a… confiné. Et quelque part aux États-Unis, par vision, West et Goth, tous les deux tombés amoureux du personnage de Pearl, la vieille femme dans « X », se mirent à écrire une préquelle. Un mode opératoire forcé par les circonstances, qui allait faire une merveille : « Pearl »

Mia Goth dans Pearl
Au bal de l’horreur masqué, ohé ohé (air connu)

Fini l’hommage appuyé au ciné horrifique indépendant des années 1970, la place est laissée à une ambiance directement imprégnée du Southern Gothic, un mouvement littéraire né à la fin du XIXème siècle dans le Vieux Sud. Ce n’est ni plus ni moins que les origines de l’atmosphère craspec d’un « The Texas Chainsaw Massacre ». C’est bien dans cette optique que West et Goth proposent ce récit situé en 1918, alors que les soldats reviennent du front européen. Si cette période est rarement abordée dans le cinéma hollywoodien, il y a pourtant un visuel et une ambiance particulière qui capte à merveille une Amérique profonde, déjà en pleine déliquescence.

L’Horreur d’hier et d’aujourd’hui

Contrairement à « X », le visuel est ici très coloré, avec des couleurs saturées, qui donne une dimension quasi onirique à l’ensemble et n’est pas sans rappeler « The Wizard of Oz », avec lequel le métrage correspond. Ti West et Mia Goth proposent une vision radicale du mythe américain, plus proche du tableau « American Gothic » de Grant Wood, peint en 1930. Ce dernier se faisait critique d’une Amérique profonde bigote et arriérée, attachée à des valeurs traditionnelles en contradiction avec la volonté de progressisme et d’éclairage du monde voulu par la doctrine étatsunienne.

You’re not in Kansas anymore !

Dans le premier volet, l’industrie de la pornographie servait de catalyseur pour appuyer sur les nombreux points critiquables de cette vaste blague qu’est l’American Dream. Avec « Pearl », c’est la culture sectaire et sclérosée issue de la migration européenne de la fin du XIXème qui aide à embraser l’idyllisme aveugle qui caractérise pas mal d’Américains. Pearl, incarnée par Mia Goth, dont l’interprétation est absolument extraordinaire, est une fermière d’extraction allemande, fille unique d’une famille où la religion catalyse un quotidien particulièrement austère, froid et strict.

A Star is Dead

Le projet de vie de Pearl est de devenir une star. Son truc à elle c’est la danse et elle est persuadé que c’est son avenir et veut se consacrer à sa passion. Sa mère le voit cependant d’un autre œil, car il y a une ferme à faire tourner, et son père, paralysé, nécessite des soins réguliers… Ainsi ce n’est pas tellement la joie pour Pearl. En plus de ne pas trouver sa place dans un monde qui n’est pas fait pour elle, dois composer avec les barrières d’une société où l’art n’est pas reconnu comme une opportunité sérieuse. D’autant plus qu’en 1918 l’artistique reste encore la réserve d’une caste de bourgeois privilégiés, et s’ajoute à cela le fait que Pearl doit aussi affronter l’existence avec sa condition de femme.

Mia Goth dans Peal
Un petit air de Jason Voorhes, sans doute pas fortuit

La tournure féministe de « Pearl », bien plus appuyée que dans « X », est certainement due à l’expérience de Mia Goth. L’authenticité des situations, décrite avec précision, témoigne d’un vécu que Ti West n’a sans doute pas subit directement, puisque le sexisme au cinéma frappe quand même assez peu les hommes. Dès lors, le film se mue en tribune, illustrée par un personnage féminin incroyablement fort. Au départ, elle est perçue comme « folle » ou « bizarre », par le reste des gens qu’elle côtoyé, car elle sort des normes convenues. De plus, l’idée de vouloir embrasser une carrière artistique alors qu’elle a un rôle préétabli à remplir ne l’aide en rien. Elle doit assumer la main-d’œuvre à la ferme, mais aussi jouer la fonction d’infirmière pour un père catatonique dont elle doit prendre soin. En plus de cela, elle fait office de punching-ball pour une mère tyrannique. Épouse d’un jeune soldat sur le point de revenir du front européen, elle doit également se montrer exemplaire.

La folie est une construction de plus

Dans une démarche d’écriture particulièrement fine, « Pearl » développe un personnage dont il est possible de percevoir la sympathie, ou du moins la compréhension, que Goth et West ont pour elle. « Pearl » permet de brosser le portrait de la folie, par le lent réveil de sa figure centrale du récit, en venant poser une question simple : qui est-ce qui est le plus fou, l’environnement de Pearl, où Pearl elle-même ? Ses réactions extrêmes s’avèrent toujours en lien avec l’intervention d’une autre personne, qui la ramène sans cesse à une double condition : celle de la folie et celle de femme, prisonnières d’un monde formaté pour les hommes.

Mia Goth et David Corenswet dans Pearl
Rétro Lois Lane et Clark Kent

Avec son rythme faussement lent, le métrage enchaîne des séquences qui oscillent entre une forme de candeur (puisque le récit adopte le point de vue de Pearl) et une horreur quasi insondable. Cette dernière naît de l’oppression quotidienne d’une femme, qui ne peut s’accepter comme elle le souhaiterait, évoluant envers et contre tous. Cette sensation d’aliénation est renforcée par le fait que plus Pearl plonge dans la folie et plus la sympathie pour elle s’installe, non pas par pitié, mais au détour d’un sentiment d’injustice et de colère.

Une beauté malsaine mais saisissante

L’une des scènes majeures du film est un plan séquence assez long (dans le bon sens du terme), qui consiste en un monologue d’une rare intensité, délivré par une remarquable Mia Goth, qui dévoile une palette d’émotion impressionnante. Le discours est très clair et met en exergue absolument toutes les thématiques du métrage, livrant comme des uppercuts toutes les discriminations que subit Pearl depuis son enfance. Si le film ne justifie jamais la violence dont elle fait preuve pour son prochain, il prend toutefois la tangente de comprendre. Une réelle sympathie s’apparaît dès lors pour un personnage qui se révèle être l’une des anti-héroïnes les mieux écrites du cinéma horrifique U.S

Mia Goth dans pearl
Pas de « Pearl » sans Mia Goth. L’incarnation est parfaite.

Optant pour explorer un genre totalement différent qui fait la réussite de « X », Ti West et Mia Goth nous propose une fable horrifique d’une puissance évocatrice rare. Une fois encore le film fait écho à notre temps, ce monde occidental de 2022, au point même de glisser des petits clins d’œil à la période du Covid. Mais par une illustration puissante du combat féministe, c’est à toutes les personnes exclues, à tous celles et ceux qui ne trouvent pas leur place dans cette société mortifère qu’il s’adresse. Il dresse un constat que bon nombre expérimentent au quotidien, hors des cases, hors de la masse, avec des rêves aussi riches que variés que la bigoterie, l’obscurantisme et la bêtise essayent de saper inlassablement.

Pour en Savoir Plus

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Bande Annonce

Forgé par le gore et l'horreur déviante, amateur de Slasher depuis sa plus tendre enfance, Stork est toujours là où on l'attend : devant un film, muni de sa plume et prêt à suriner le moindre métrage...

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