Samuel Bodin, France, 2019, 8 épisodes de 50 min
« Marianne » est une série horrifique française, diffusée sur Netflix en 2019, écrite par Samuel Bodin et Quoc Dang Tran, et il est assez rare pour le préciser, elle fonctionne parfaitement bien. Imaginez la rencontre entre Stephen King et ce magnifique pays qu’est la Bretagne, vous y mettez quelques éléments de folklore chrétien, une touche de « Stranger Things », des personnages bien développé et attachant, et vous avez là, en plus d’un très bon résumé, la recette parfaite d’une petite fiction sans prétention, mais avec de belles ambitions et une mise en scène qui ta de la gueule.
Inutile de tirer sur l’ambulance, il est important de rappeler que le système Netflix, s’il n’est pas exempt de défaut, permet parfois à des auteurs de s’exprimer parfaitement. C’est tout à fait le cas ici avec « Marianne », qui si elle remplit le cahier des charges inhérent aux séries du N rouge, s’autorise aussi une originalité qui fait du bien. Oscillant entre épouvante pure, horreur viscérale et comédie, Bodin et Tran sont parvenus à offrir ce que le milieu audiovisuel français est capable de mieux. Arrivée bien après la bataille, puisque l’Horreur à la Française, depuis la fin des années 2000 c’est un peu « Waterloo, morne plaine », la série s’impose déjà comme une référence.
Stephen Kenavo
Jamais « Marianne » ne tombe dans l’écueil des clichés faciles lié à la Bretagne. S’il y a bien entendu quelques moments avec un peu de binious, c’est plus sur un ton comique, voire parodique, que pour installer une atmosphère. Non, là où la série joue vraiment son va-tout, c’est dans son ambiance directement puisée dans le Maine si cher à Stephen King. D’ailleurs le choix de faire du protagoniste une autrice, vient s’inscrire dans l’hommage, comme « Alan Wake » pour ne citer que lui. Sans trembler, les deux auteurs construisent leur récit petit à petit, en l’alimentant de multiples personnages. La fin ressemble ainsi à une véritable série chorale, qui abandonne peu à peu une histoire axée sur l’écrivaine et ses périples.
Intelligemment bien écrits, sans être virtuose, les détails sont légion afin de plonger l’audience dans un univers cohérent et mystérieux. Pour exemple, ils ressortent la convention du libraire occulte, qui gère son petit magasin d’occultisme et qui a peur des évènements parce que l’occulte ça le connaît. Mais il préfère laisser les personnages dans leurs embrouilles, bien qu’il ait la connaissance pour les aider. C’est là par exemple une convention parfaitement établie, utilisée avec finesse sur l’ensemble des 8 épisodes. La construction de ces derniers indique ainsi la place de la série dans le monde de l’Horreur sur grand et petit écran.
50 nuances de sorcellerie
L’autre point fort, ce sont les comédiens qui jouent tous très juste, ce qui demeure suffisamment rare pour le préciser dans une fiction française. Victoire Du Bois, qui incarne l’écrivaine Emma, livre une prestation parfaite, entre tête à claques et casse-pied sympathique. Le personnage apparaît casse-gueule et aurait pu très vite taper sur le système, mais l’ambiance semi-comique de l’ensemble plus le jeu de l’actrice, la fonde parfaitement dans le décor. L’autre mention spéciale va pour Alban Lenoir, qui délivre un policier fantasque, entre l’inspecteur Clouzot et Philip Marlowe. Autour d’eux gravite un casting dont l’alchimie impressionne, et ne fait que consolider un peu plus le potentiel de la série.
Ces personnages, rencontrés ailleurs, dans d’autres médias et dans d’autres circonstances, jouent tous une partition, et ils la délivrent à la perfection. Il est ainsi possible de prendre n’importe quel roman de Edgar Allan Poe, H.P Lovecraft, Shirley Jackson et bien sûr Stephen King, pour retrouver la même gamme de caractérisation. Tout cela permet de donner une cohérence solide à l’ensemble de l’histoire, où la côte bretonne se substitue à la Nouvelle-Angleterre. Comme quoi, ce n’est finalement pas si difficile de proposer du neuf avec du vieux et de l’original avec du conventionnel. Il faut juste un petit peu de savoir-faire et une petite touche de folie.
« N’est pas mort ce qui à jamais dort » (H.P Lovecraft)
C’est là l’une des principales thématiques de « Marianne » : la folie. Elle laisse Emma aux abois pendant plusieurs épisodes, la confrontant avec la réalité des personnes qu’elles croisent. Tout un faux semblant nous permet de douter de ce qu’elle voit et croit vraiment. Si le gimmick reste classique, il se montre toujours efficace, en grande partie du fait des éléments susmentionnés. Par son approche de la démence (si chère à Lovecraft), la série permet ainsi de traiter en sous-texte de très nombreuses thématiques, en lien notamment avec le passage à l’âge adulte. Non pas le passage de l’adolescence, comme c’est souvent le cas (la cultissime série « Eerie Indiana » par exemple), mais vraiment ce moment, où arrivé à 30 ans vous êtes un adulte accompli, mais pas pour les personnes vous ayant connu dans votre jeunesse.
Alors, c’est là l’un des thèmes traités, ce n’est pas le principal (la série fait 8 épisodes), mais c’est celui qui parcourt comme un fil rouge tout le récit. Emma était une rebelle, elle a commis des erreurs, elle s’est mis beaucoup de gens à dos, quinze ans avant les évènements racontés. Lorsqu’elle retourne dans son patelin après plus d’une décennie, elle n’est pas perçue comme une autrice à succès, elle reste cette gamine qui décapitait des statues de Jésus à la hache. Oui, bon, certes ça marque les esprits, mais c’est aussi révélateur d’un gros problème : le droit au changement. Emma n’a tué personne, elle n’a fait de mal à personne, elle a juste exprimé un mal être (expliqué par un élément surnaturel dans le récit).
Maman, j’ai raté le passage à l’âge adulte
Une ado de 15 ans qui fait des conneries et une autrice de 30 ans qui fait des dédicaces, peut-être est-il possible de lui accorder le bénéfice du doute ? Le personnage d’Emma est construit par le biais de ses relations avec ses parents et ses amis d’enfance, amenées par des séquences dramatiques et des flashbacks. Tous les personnages ont évolué et ont chacun à leur niveau mené leurs vies tant bien que mal. Lorsqu’Emma se trouve à Paris au début de l’épisode 1, c’est ainsi qu’elle est présentée. Mais dès lors qu’elle met les pieds à Elden, son patelin d’enfance, elle est à nouveau définie comme cette jeune rebelle, et de fait, elle-même agit comme tel, conditionné par le regard des autres.
« Marianne » permet ainsi en sous-texte d’aborder le thème du traumatisme, qui prend ici de nombreuses formes. Chaque personnage est finalement un peu cassé par quelque chose du passé. Et c’est en cela que la série se démarque, par ce fond particulièrement bien ancré dans un réalisme qui met tout aussi mal à l’aise qu’une histoire de possession démoniaque. Sur la forme elle s’avère efficace, par ses effets, sans trop abuser de jump scare, mais en cultivant son ambiance et distillant ses moments chocs avec parcimonie. Mais là où elle trouve vraiment sa force et son identité, c’est dans le vécu de ses personnages, qui sert à alimenter l’intrigue et à donner de l’intérêt pour leur sort.
S’il est possible de regretter une fin un petit peu expédiée, avec de nombreuses questions en suspend, et des personnages dont on ignore le destin, c’est finalement un détail. Il est alors permis d’y voir soit une fin ouverte, où un énième hommage à Stephen King et ses légendaires fins ratées. (re) Lisez « The Stand »… (re) vivez cette frustration après plus de 1200 pages et tout autant d’heures passées à les lires… En toute franchise, c’est une production française, et même si elle est loin d’être exempte de défaut, c’est tellement rare d’avoir une telle qualité, qu’il serait malvenu de faire la fine bouche. Pour vous en convaincre, regardez n’importe quel film avec Franck Gastambide, pour réaliser à quel point « Marianne » c’est certainement ce qu’il se fait de mieux en matière de fiction française. Ne boudez pas votre plaisir, en plus elle est sur Netflix… Elle n’attend que vous !
Laisser un commentaire