Keol Racela, U.S.A, 2019, 98 min
Petit trip gore des plus sympathiques, « Porno » est une production signée Fangoria, qui depuis quelques années redonne un souffle au ciné horrifique Bis. En collaboration avec la plateforme Shudder, elle aussi en quête de retrouver un savoir-faire horrifique un peu disparut des œuvres modestes. Avec Blumhouse, qui de son côté est en train de lancer avec succès un retour de l’Horreur mainstream, le genre semble entrevoir de beaux jours devant lui.
Un principe simple, efficace et fun
Quatre ados employés dans un cinéma se voient confier la responsabilité du lieu durant toute une nuit par le gérant, Mr Pike, un homme particulièrement dévot, qui débute chaque soirée de travail par une prière collective. Pour remercier le seigneur de l’opportunité qu’il leur est donné d’évoluer en de bonnes personnes, celles qu’ils désirent être. Et puis il y a Heavy Metal Jeff, un ancien addict’ devenu Staight Edge (à l’origine d’une des meilleures vannes), que Mr Pike a aidé à s’en sortir, en lui permettant de retrouver Dieu. Le gérant se révèle plus qu’un employeur, c’est un modèle de droiture.
Les employés se retrouvent seuls, lorsque dans la salle obscure un vieil homme intoxiqué se met à hurler des paroles incompréhensibles, à rire comme un fou et à briser le mobilier. Voilà le point de départ d’une aventure des plus horrifiques pour les cinq protagonistes, prisonniers d’un cinéma devenu un piège, à la merci d’une bobine maléfique. Elle fait naître chez eux les plus vils instincts d’une sexualité débridée, d’une excitation débordante et incontrôlable. Mais pour eux, le rapport au sexe se montre obscur, puisque c’est un péché.
Généreux et pas prise de tête
Tout d’abord, « Porno » s’avère une aventure absolument généreuse. Dans son ambiance parfaitement distillée par un mélange de tragi-comique, d’épouvante et d’horreur pure. C’est un peu par moment comme si « Scooby-Doo » rencontrait « The Exorcist ». Prenant régulièrement la tangente de ce genre d’extrême, avec une bonne humeur généraliser. Avec un humour mordant, qui fait mouche, le récit oscille ainsi entre des séquences bien gores (une en particulier, messieurs préparez-vous, elle fait mal), un érotisme démoniaque, un second degré palpable, et une quête initiatique pour les protagonistes. Eux, qui à leurs dépens en apprennent un plus sur qui ils sont à mesure que la soirée part dans tous les sens, surtout les plus inattendus. Avec une approche légèrement méta-moderniste de l’Horreur, le film de Keola Pacela fait à plus d’une reprise référence au fait qu’il est une œuvre cinématographique d’un genre bien précis.
Les personnages demeurent conscients de ce qui leur arrive, leurs réactions, surtout celle du projectionniste Jeff, sont stéréotypés, mais ne tombent pas dans le cliché, car c’est un parti pris complètement assumé. Ça rend l’ensemble fun à regarder, tellement c’est efficace, et rythmé. Il n’est pas laissé beaucoup de temps pour s’ennuyer, puisque le film vogue de séquence en séquence en apportant sans cesse de nouvelles idées. Il construit une intrigue qui révèle peu à peu les personnalités plus profondes des protagonistes. Ils n’apparaissent pas aussi lisses que les conventions qu’ils campent. Bien définis dès le départ, puisque présenté comme des clichés, ils évoluent et se développent. Cela permet à Keola Racela d’aborder des thèmes bien plus sérieux que ne le laisse penser l’ambiance du film.
Au bon souvenir de la bonne morale
Ainsi est questionné le rapport à la sexualité, par deux personnages un peu voyeurs (voir beaucoup pour un). Mais il y a aussi le rapport à la pornographie, et cette fascination pour un interdit qui décuple les sens, parfois même contre la volonté des individus. Ainsi ces jeunes victimes pieuses, élevées dans le culte du Christ, à l’ombre du péché originel, sont confrontées à du porno, et du gore. Chacun réagit dès lors selon sa personnalité.
Bien plus malin que ne laissent penser son synopsis, son affiche, et la première demi-heure, « Porno » prend une direction inattendue, abordant des problématiques universelles. Questionnant la place de la pornographie dans la société. Alors que la confrontation à des images violentes est quotidienne, c’est presque banal pour l’opinion de voir une ville en guerre, les rues jonchées de cadavres. Par contre, deux personnes s’adonnent au coït, un acte finalement ordinaire, et la morale est choquée.
Cela fait penser à cette anecdote des années 1970, en pleine guerre du Vietnam, lorsque les informations télévisées montraient les images du conflit, les cadavres brûlés au napalm, les corps décharnés par les explosions et les balles. John Lennon et Yoko Ono avaient alors sorti une série de photos d’eux, nus dans un lit : le scandale immédiat.
Prend ça hypocrisie chrétienne !
C’est cette hypocrisie que pointe du doigt « Porno ». À l’heure où ce sont les sites pornographiques qui comptent le plus de connexions au quotidien, il aborde cette bigoterie de façade par un méchant tacle à la religion. En effet, le Christianisme prend un sacré coup dans les burnes, présenté comme responsable de la schizophrénie de nos sociétés occidentales, fondées sur ses principes, aujourd’hui bien désuets. Le personnage de Mr Pike est en cela des plus intéressant, puisqu’il représente à lui seul la dévotion suprême, au point de tout en remettre à la volonté du Seigneur. Lui-même s’adonne pourtant en louçdé à des pratiques pas très catholiques.
Prenant place en 1992, « Porno » aborde le sujet de la démocratisation de l’homosexualité, qui jusque dans les années 1980 avait encore très mauvaise presse. Cela autorise de bonnes blagues, par des perso’ qui voient ça comme contre nature. Mais aussi, ça offre une grosse réflexion, puisque la jeune homosexuelle du film est considérée de la même manière que quelqu’un malade. Mr Pike lui propose d’ailleurs de la remettre dans « le droit chemin ».
Cela fait écho avec ce qui existe encore aujourd’hui aux États-Unis, des institutions spécialisées pour « guérir » les homosexuels : les NARTH pour « The National Association for Research & Therapy of Homosexuality ». L’ancien vice-président Mike Pence (2016 – 2020) en fait partie, et s’avère même l’un de ses plus ardents défenseurs. C’est un contexte propice pour en rappeler au bon souvenir de cette époque pas si loin où le puritanisme créait ses propres psychoses, comme le démontre « Satanic Panic » et « We Summon the Darkness » sortie la même année, sur des thématiques satanistes.
Une œuvre faussement idiote
Bien moins idiot qu’il n’y paraît donc, « Porno » utilise les ressources mises à sa disposition par le biais d’une situation dans laquelle il pousse ses personnages à bout. Dès lors, la présence du cinéma et la représentation à travers le projecteur, tout prend une dimension sataniste dans un milieu baignant dans la chrétienté. Ses réflexions sur l’addiction, la bêtise de la dévotion aveugle, l’incapacité à trouver sa place dans une communauté à cause d’une « différence », deviennent tout autant de thématiques passionnantes, abordées par ce métrage.
Son décalage et son humour permettent de rendre tout ça d’autant plus pertinent, par un sens aigu de la dérision, confectionnant l’ensemble en une œuvre très riche, étonnant pour une si petite production. Elle parvient à réussir ce que « Nightmare Cinema » avait échoué un an plus tôt, en prenant aussi un cinéma comme cadre du récit. « Porno » possède tout ce qu’il faut pour plaire, car authentique et efficace, elle forme une œuvre horrifique cohérente en tout point, avec tout ce que le genre peut proposer de plus fun. Comme le dit Heavy Metal Jeff : « Woaw ».
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