Yeon Sang-ho, Corée du Sud, 2016, 118 min
Le genre du film d’infecté, auquel correspond « Dernier Train pour Busan », et plus généralement celui du zombie, est devenu particulièrement populaire ces dernières années. Il fait suite au renouveau de la première moitié des années 2000 avec « 28 Days Later » de Danny Boyle, « Shaun of the Dead » d’Edgar Wright et « Land of the Dead » de George A. Romero, père du zombie contemporain, ou même la saga [REC]. Depuis, il y a eu un peu tout et n’importe quoi sur le sujet, surtout n’importe quoi.
Aujourd’hui, le genre s’avère à bout de souffle, comme le démontre le magistral « The Dead don’t Die » de Jim Jarmusch en 2019, pointant avec allégresse les limites d’un mode surexploité. Ses codifications en sont devenues si rigides qu’elles ne font plus que se répéter inlassablement de film en film. La purge « World War Z » reste en ce sens un parfait exemple. Comme de série en série. Depuis longtemps, « The Walking Dead » n’est plus que l’ombre d’un genre tombé en désuétude.
Puis, en 2016, totalement inattendu et en provenance directe de la péninsule du Matin calme débarque une œuvre rafraîchissante. Avec « Dernier Train pour Busan », Yeon Sang-ho y dépoussière brutalement le genre, et rejoint ainsi les illustres « 28 Days Later » et « 28 Weeks Later » de Juan-Carlos Fresnadillo, ainsi que les [Rec] de Jaume Balagueró et Paco Plaza. C’est rythmé, novateur, riche et diablement généreux dans tout ce qu’il entreprend : l’horreur, l’action, l’émotion, le rire… Bref, « Dernier Train pour Busan » ça déchire !
Un homme face à son destin et la fin de l’humanité
L’histoire se montre des plus simples et permet au cinéaste de développer des éléments qui jonchent déjà son cinéma, à l’instar de Sok-woo, un workaholic divorcé, en rupture avec sa jeune fille qu’il néglige. C’est ici l’un de ces archétypes que Yeon Hang-ho aborde depuis « The King of Pigs ». Ce n’est autre que l’un de ces cols blancs obnubilés par la réussite. Un type générique semblable à n’importe quel bureaucrate carnassier, portant son costard-cravate d’uniforme, ayant bradé son humanité pour jouer un rôle majeur dans ce cirque qu’est le grand Capital.
Il occupe un bureau qui ressemble à tous les autres, il se montre hautain et arrogant envers ses subordonnés, il se nourrit de Burger King, conduit une berline et témoigne d’une froideur à faire pâlir. Bref, Sok-woo est une personne lambda et détestable, qui par fierté souhaite obtenir la garde permanente de sa fille, Soo-an, dont il ne semble se soucier assez peu, puisqu’il laisse cette tâche à sa mère. Ce qui l’engage dans un combat avec son ex-femme, alors que la pauvre Soo-an ne rêve que d’une chose : aller vivre avec sa maman à Busan.
Pour l’anniversaire de Soo-an, Sok-woo accepte de l’accompagner jusqu’à Busan, en train. Manque de chance, entre-temps un accident industriel propage dans le pays une maladie qui transforme les gens en cannibales. Et bien entendu, la morsure d’une personne contaminée suffit à métamorphoser quiconque en monstre assoiffé de sang. Le train dans lequel se trouve Soon-an et Sok-woo devient le théâtre d’une horreur absolue, à mesure que les infectés se rependant dans les wagons.
Un portrait vitriolé de nos sociétés malades
Comme bien souvent dans le cinéma de Yeon Sang-ho, l’intérêt se situe rapidement au-delà d’une trame principale qui ne sert que de prétexte. Si cette fois elle s’avère spectaculaire, par le choix du genre utilisé et ses infectés absolument terrifiants (ce qui donne lieu à des scènes totalement démentes), le cinéaste suscite néanmoins une fine analyse cosmopolite de la société coréenne. En effet, dans ce train se retrouvent toutes les catégories sociales qui forment un monde.
Du SDF à l’homme d’affaires, de l’enfant à ados, de la personne âgée au gros connard, du courageux au mouton, il se tisse une toile sociétale avec laquelle s’amuse le cinéaste. Il plonge tous ces protagonistes, sortis d’une chronique du quotidien, dans l’atrocité la plus pure, face à l’inconcevable et l’indicible. Plus qu’un film d’Horreur, plus qu’un film d’Action, « Dernier Train pour Busan » constitue une étude de mœurs minutieuse, entre deux ou trois pauvres hères qui se font déguster la carotide dans une bonne humeur assumée.
Un vrai film de Cinéma comme on en aimerait plus souvent
Des plus fun, vraiment très jouissif, il manque de superlatifs pour faire le tour de ce délire cinéphilique, qui ravit les initiés et ne peut qu’enthousiasmer les néophytes. Cette œuvre demeure la preuve qu’il est possible de réaliser un film d’infectés à grand spectacle accessible à tous. Si les effusions de sang sont nombreuses, le métrage ne bascule à aucun moment dans le gore grossier et gratuit. La retenue reste de mise, ce n’est jamais vain et la violence est utilisée à propos. De nombreux passages en hors-champs permettent d’ailleurs de conserver la pudeur de certains moments forts.
La mise en scène spectaculaire (c’est un premier film live…) sert à magnifier d’impressionnantes séquences, à l’instar d’un final incroyablement épique, mais aussi à éviter les écueils inhérents au genre. Sa sobriété empêche les clichés et gimmicks habituels, utilisés ici avec intelligence, permettant au métrage de s’ancrer dans une dynamique efficace des plus agréables. Pas de doute, Yeon connait ses classiques, et évite les conventions faciles.
Un rafraîchissant mélange des genres
C’est en cela que « Dernier Train pour Busan » ne ressemble à aucune autre œuvre sur le sujet. Aujourd’hui, la production, totalement sclérosée, se contente majoritairement, avec fainéantise, à reproduire mécaniquement ce qui rencontre le succès. Il faut donc remercier ce film venu de Corée du Sud, qui tout en restant scrupuleusement dans les clous parvient à proposer un renouveau original, brillant, efficace, et admirablement plaisant.
Cinéma coréen oblige, c’est là l’une de ses marques de fabrique, le métrage évolue dans un mélange des genres salvateur. Film d’Horreur, on l’a dit, film d’Action, on l’a dit aussi, c’est avant tout un drame familial entre un père et sa fille, auquel vient se greffer une comédie gore. Yeon en profite alors pour étendre l’approche de ses diverses thématiques comme la corruption, la lutte des classes, et plus particulièrement le rapport parent/enfant, très présent au cœur de sa filmographie depuis « The Fake ».
Ça critique dans le sang et les tripes
À plus d’une reprise, le scénario aborde les airs d’une satire sociale, par sa galerie de personnage varié, et parfaitement développé. Déjà dans « Seoulyeok » il proposait des protagonistes venant d’horizons différents, bien que tous issus de classes modestes. Ici, la honteuse citation à destination des gares, où se croisent « ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien », prend une pertinence tout autre. À commencer par le SDF, il est perçu avant tout comme un clandestin, alors qu’il se réfugie dans le train pour échapper aux infectés.
À ce personnage s’ajoute un homme banal, pour ne pas dire « une saloperie », d’une cinquantaine d’années, qui affiche sa réussite sociale par son arrogance. Il correspond à une version plus âgée de Sok-woo, et agit ainsi en miroir à ce dernier. Qui est lui amène à se remettre en question et à évoluer, quand le vieux paria est complètement perdu.
Toutefois, il parvient par sa brutalité à créer une ascendance psychologique sur la plupart des passagers, et même sur le personnel. Il impose ainsi ses vues, qui mettent en réalité tout le monde en danger. Vêtu d’un costard-cravate, cet uniforme lui permet de se faire respecter par quiconque. La force de la tenue soignée témoigne de la personne sûre qu’il doit être. Après tout, qui irait écouter un sans-abri apeuré qui se cache dans les toilettes ?
Tous égaux dans la mort (violente)
Entre ces deux extrêmes, Yeon propose alors un prisme particulièrement riche de la population. Il permet de faire du train un véritable microcosme de la société, pas seulement celle de Corée du Sud, mais toutes celles que le système capitaliste ronge lentement, mais sûrement. Parmi les prisonniers du train, les inégalités se révèlent avec brusqualité, deviennent le moteur des différents comportements. Quant à la fraternité, l’entraide et l’altruisme, ce sont là des privilèges que seuls les faibles peuvent s’autoriser.
Pour faire simple, « ceux qui réussissent » sont ceux qui ont perdu toute once d’humanité et ne pensent plus qu’à leur gueule. Ils n’hésitent pas à mettre en danger, voire à écraser, leurs contemporains pour survivre à tout prix. Alors que « ceux qui ne sont rien », ce sont tous ceux qui essayent de s’en tirer par l’entraide. Ces personnes prêtes au sacrifice quand c’est nécessaire, st si ça permet de sauver un grand nombre, menacé par l’avidité vitale des égoïstes.
L’anitcapitalisme comme moteur de l’Horreur
Par cette lecture, qui est la même pour les trois précédents films d’animation de Yeon, « Dernier Train pour Busan » est à apprécier en œuvre populaire et aboutie. Elle apparaît comme la résultante absolue d’un cinéaste génial, qui parvient ici à aller à la perfection ses obsessions intimistes au cinéma à grand spectacle. C’est une réussite de bout en bout, traduisant une réflexion d’une grande sagesse qui nous en apprend plus sur ce monde dans lequel on vit. Sans tomber dans la leçon de morale, et c’est là tout son génie, en utilise simplement des codes pourtant éprouvés.
Le vieux crevard qui plante tout le monde pour s’assurer la survie, c’est une convention que l’on retrouve avec le père dans « The Night of the Living Dead » en 1968. Il correspondant en tout point à une convention bien précise et inhérente au genre. Yeon l’utilise ainsi avec perfection, polarisant sur lui tout ce que l’humanité peut avoir de plus dégueulasse. De plus, par son égoïsme démesuré il provoque, lui et lui seul, des situations qui tout au long du métrage deviennent sources de drames, car il parvient également à se montrer émouvant.
Horreur ne rime pas forcément avec froideur
Il n’est pas rare qu’au court du récit les plus sensibles versent leur petite larme. Dans une démarche jusqu’au-boutiste, dans la continuité de l’ensemble, c’est-à-dire sans concession, plus d’une séquence joue une partition émouvante étonnamment réussie, particulièrement dures et mises en scène avec une grande pudeur. Elles achèvent de composer « Dernier Train pour Busan » en œuvre magistrale, des plus complète.
La richesse inouïe du récit passe son temps à balader son public dans un ascenseur émotionnel, qui ressemble plus à un grand huit qu’à autre chose. Par la convocation d’une puissance évocatrice rare, s’élève du métrage une portée émotionnelle d’une impressionnante intensité. Cela est renforcé par le fait que l’on passe du rire au frisson et de l’horreur aux larmes par le biais de courts interstices. Mais ça, c’est quand le scénario laisse le temps de respirer, ce qui n’est pas toujours le cas, car les mésaventures des survivants sont particulièrement rythmées.
Un film inestimable pour notre époque
« Dernier Train pour Busan » demeure une œuvre virtuose, et l’on ne le répétera jamais assez, incontestablement l’une des plus grandes réussites cinématographiques des années 2010, qui ne peut qu’impressionner et emporter l’adhésion. Au moment où Hollywood traverse une période de plomb et peine à se renouveler, le Cinéma coréen se présente comme une alternative fiable, fourmillant de productions grandioses, tel ce pamphlet incisif, déguisé par Yeon Sang-ho en divertissement.
Il rejoint ainsi avec brio la longue tradition du film d’Horreur engagé, initié il y a plus de cinquante ans par George A. Romero avec « The Night of the Living Dead ». Yeon assume à 100 % la décomplexions de sa démarche, pour un rendu totalement dément, et même parfois incroyable. « Dernier Train pour Busan » correspond à une œuvre des plus positive, qui vient nous rappeler pourquoi le Cinéma c’est génial. Et de temps en temps une piqûre de rappel, ça fait du bien l.
Pour en Savoir Plus
Dernier Train pour Busan sur IMDB
Dernier Train pour Busan sur Rotten Tomatoes
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