The Crazies

George A. Romero, U.S.A, 1973, 104 min

Sur le mode du cinéma-vérité si cher à George A. Romero, c’est avec réalisme, le point fort du cinéma des seventies, qu’il aborde le sujet complexe de « The Crazies ». Assez proche de « The Night of the Living Dead », avec lequel il ne peut échapper à la comparaison, il peut ainsi être lu comme une variation « plausible ». Les victimes d’une arme chimique militaire remplacent les morts-vivants. Le cinéaste se passionne clairement à démontrer le niveau d’incompétence de l’institution. Elle est représentée ici par un état-major et un Président des États-Unis of America, complètement à la masse face à une crise qu’ils ont eux-mêmes créée. Et qui c’est qui paye pour leur inconscience ? Et bien les civiles. Le peuple est ainsi balancé aux premières lignes.

Une maison en flamme dans The Crazies
« Notre maison brûle !! » (littéralement)

Quelques jours après le crash d’un avion dans ses environs, la petite ville d’Evans City, Pennsylvanie, subit des évènements étranges. Tout commence par un homme qui tue sa femme, avant de foutre le feu à sa maison, sans aucune raison, et sous le regard terrorisé de ses deux enfants. Cette attitude interpelle forcément les autorités, et sans plus attendre l’armée arrive dans la game, puis se met à confiner tout le monde avec brutalité, sans plus d’explication, parce que vous comprenez, le secrète défense tout ça… L’avion qui s’est écrasé transportait en fait les souches d’un virus très dangereux, une arme biologique sans vaccin, tuant en seulement quelques heures quiconque se retrouve infecter. Ou fais sombrer ses malheureuses victimes dans une folie furieuse, traduite par des pulsions meurtrières particulièrement violentes.

Sur un rythme effréné, George A. Romero plonge directement les spectateurices au cœur de l’intrigue, par un récit qui se décline en plusieurs strates :

_ L’intrusion brusque des soldats qui rassemblent tous les habitants de la ville au même endroit.

_ Les officiers essayent de gérer un merdier pas possible, sur lequel ils n’ont qu’un contrôle de façade.

_ Un scientifique travaille sur la souche, puis est amené dans la ville pour trouver rapidement un antidote.

_ Les habitants sombrent tous peu à peu dans une folie généralisée.

_ Un groupe de 5 personnes cherchent à s’échapper de la zone de confinement et fuir une armée en roue libre.

Tout finit toujours par venir du peuple

Œuvre particulièrement anti-fédérale, « The Crazies » porte la voix d’une Amérique rurale oubliée, cette fameuse majorité silencieuse, dont le quotidien demeure à des lieux des problématiques du pays en 1973. Il est important d’avoir en tête qu’au même moment le Watergate est sur le point d’éclater. Les mensonges gouvernementaux sont sur le point d’être révélés, tout comme l’usage d’armes chimiques au Vietnam, et les bombardements illégaux au Laos et au Cambodge.

Un soldat en combinaisont avec un drapeau américain à l'envers dans The Crazies
!! haeY kcuF aciremA !

C’est de cette Amérique qu’il s’agit, et elle est incarnée dans le film par David, un vétéran du Vietnam, qui refuse l’impuissance autoritaire d’une armée outrepassant totalement son pouvoir. Une séquence montre d’ailleurs l’opposition du maire de la ville, face aux méthodes martiales du Major en charge de l’opération. Cela aboutit à la mort plus ou moins accidentelle d’un officier de police. L’armée règne ainsi en maitre, au mépris total de l’habeas corpus, alors, une fois de plus l’erreur vient d’elle, mais ce sont des innocents qui payent, en masse.

C’est toujours les meilleures qui dirigent ! Ho wait…

L’objectif des autorités incompétentes est que si le virus ne parvient pas à rester confiné, si aucun vaccin n’est trouvé dans les 24 heures, il est nécessaire de faire sauter la ville. Après tout, une bombe nucléaire peut passer pour un accident. Ce scénario totalement absurde est proposé dans le film par une parodie d’autorité complètement à la ramasse. Les scientifiques sont à la rue, les soldats enchainent bavure sur bavure, et un président déconnecté est le seul à pouvoir valider l’utilisation d’une arme nucléaire sur le sol américain, contre ses propres citoyens.

Une salle d'hopital improvisé dans The Crazies
« Vous en faite pas, ça fera pas mal ! »

Le réalisme de « The Crazies » fait froid dans le dos. La description méticuleuse de chaque élément du processus mis en place (une accumulation de déconvenue par des incompétents) révèle, au-delà de l’œuvre, une réalité qui exprime l’absurdité des niveaux de la chaine de commande. Mais aussi l’échec de l’Institution, incapable de protéger ses citoyens, qui victime après victime trucident une bonne partie des soldats. Ces derniers, dans leurs combinaisons blanches, avec leurs masques à gaz et leurs armes, s’avèrent identiques. Ils représentent un corps générique, comparable aux morts-vivants de 1968. Bien que le risque est censé venir des infectés, le tour de force de Romero est d’inverser la réelle menace. Le danger se trouve chez ceux par qui tout a commencé : l’Armée.

Une vision sombre du futur des seventies (oui, le notre)

Puis le film ralentit un petit peu sa cadence, la frénésie des 45 premières minutes redescend un peu, laissant le temps de réaliser l’ampleur de la situation. C’est désormais au travers du prisme de 5 survivants, qui cherchent à fuir la ville. Une empathie se crée naturellement avec eux, renforcée par le fait que le virus finit par les atteindre, comme si personne ne pouvait échapper à ce fléau, qui touche au hasard, et sans différenciation de statut social.

Un soldat mort dans The Crazies
S’en prendre au peuple, c’est jamais une très bonne idée…

Seventies oblige, le métrage se termine sur un ton plus que pessimiste, à l’aide d’une fin ouverte finale caustique, qui dynamite tout le récit présenté par le film. Ici s’exprime tout l’héritage de la contre-culture des années 60-70, par l’optique d’un cinéaste contestataire. Romero n’hésite aucunement à pointer du doigt la gestion douteuse d’un pays où les politiciens ont complètement perdu tout sens du quotidien.

George A. Romerol livre une œuvre radicale, plus aboutie que son premier film, « The Night of the Living Dead », notamment dans sa manière de présenter une humanité qui bascule dans l’horreur en l’espace de quelques heures. Et ce, à cause la faillite d’institutions censées garantir la sécurité de la nation. Contemporain du conflit, les ponts allégoriques avec le Vietnam sont ainsi très nombreux. Au-delà du personnage de David, c’est dans la représentation de la violence à l’écran. Si elle est moins gore que l’anthropophagie présentée en 1968, elle reste particulièrement sanglante. Elle use un jusqu’au-boutisme qui explore en profondeur la moindre piste afin de proposer une réflexion complexe et construite, sur le rôle réel des gouvernements face aux populations civiles.

Toute ressemblance avec un virus célèbre est sans doute un hasard

Péchant d’un orgueil mal placé, l’armée incarne un fort sentiment de fierté et de vanité de la part des officiers, ce qui confectionne « The Crazies » comme un pamphlet radical, au-delà de la représentation de son époque. Même s’il a un peu vieilli formellement, le message demeure particulièrement actuel. Les évènements contés dans le film surprendraient à peine si cela se produisait aujourd’hui, lorsque l’on voit l’incompétence de certains gouvernements face à la crise du Coronavirus.

Un prêtre dans The Crazies
Le visage de l’un des gros échec institutionnel

Peu prise au sérieux dans les premiers instants, une pandémie ne pèse rien face à la sacro-sainte loi du marché. Il en va pourtant de la responsabilité des gouvernements de gérer ce type de crise, au bénéfice des citoyens confiné. Non, « The Crazies » ne fait pas du tout écho à un évènement pas si lointain, qui répondrait à des thématiques traitées dans un film de 1973… Cela s’avère assurément terrifiant, révélant une actualité à laquelle nous sommes tous confrontés. Mais dans la réalité, atomiser les foyers d’infection n’est bien entendu pas encore un fait. C’est le principe même de la satire que d’extrapoler les comportements au maximum, afin d’y déceler un message cru et virulent.

Trois civil résistants dans The Crazies
La bonne nouvelle est que la Résistance finie toujours par s’organiser !

En Bref,

« The Crazies » demeure une œuvre de fiction qui sert avant tout de divertissement, mais ça ne l’empêche pas de se montrer intelligente et incisive. Il y a des enseignements à tirer de ce genre de spectacle, qui véhiculent des thématiques importantes, et surtout universelles. Mais ils ne sont visiblement pas prises en compte, comme bien souvent dans de bien trop nombreuses œuvres cinématographiques oubliées ou datées. Et pourtant ils se trouvent là à notre portée, il n’y a qu’à le prendre, le regarder, et en tirer des leçons. Rien de bien compliqué.

Pour en Savoir Plus

The Crazies sur IMDB

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Forgé par le gore et l'horreur déviante, amateur de Slasher depuis sa plus tendre enfance, Stork est toujours là où on l'attend : devant un film, muni de sa plume et prêt à suriner le moindre métrage...

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